Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
22 Mai 2010
Une certaine idée de la France.
Je viens d'achever une présentation de la Finale de la Coupe d'Europe de rugby. Je m'aperçois que parler technique, rapport de force et chance des uns ou des autres c'est
passer à côté de l'essentiel. Ce match, c'est la confrontation de deux conceptions du Sud-Ouest, ce pays qui s'est fait royaume d'Ovalie.
Ceux qui auront la chance d'être dans les tribunes découvriront deux façons exceptionnelles de faire la fête, de célébrer le bonheur de partager une passion qui s'accompagne de
chants joyeux, de banda qui s'époumonent jusqu'à trop soif, de casse-croûtes qu'il faut dissimuler aux regards inquisiteurs et palpeurs de vigiles trop habitués aux débordements du ballon
rond.
Ici, en noir ou en blanc, le rouge est couleur flamboyante, étendard de la fraternité et de communion derrière ce ballon pointu à ces deux extrémités. Ils vont trinquer et
partager à la santé du soleil et du Midi. Tenants de la façade Atlantique ou Gens de la ville Rose, ils seront d'abord expatriés en cette triste banlieue du nord parisien.
Ils auront traversé des espaces qui ne sont pas leurs, croisé des passants à la triste mine et à l'accent pointu à vous déchirer les oreilles. Ils auront constaté qu'ici un
sourire ne se rend pas, qu'il vaut mieux tirer une tête de six pieds de long que de resplendir de joie de vivre. Après bien des efforts, des difficultés et de nombreuses incompréhensions, ils
découvriront un espace triste à jeuner pour une prohibition réservée à ceux qui ne sont pas dans les loges.
Rien n'arrêtera pourtant leur bonne humeur pas même la défaite éventuelle de leurs couleurs. Ils iront noyer un chagrin de façade ou arroser un bonheur de circonstance Rue
Princesse, ce seul espace qui se fait Sud-ouest les soirs de grands matchs de Rugby.
D'un côté les porteurs de bérets, la tenue rouge et blanche et le foulard au cou. Une chorale permanente, une vague qui chante et qui danse, un rythme éblouissant de
rameurs qui s'en vont conquérir l'Amérique latine. Le Pays basque et la côte aux vagues qui ont du coffre, la montagne et la mer réunies pour cette passion des hommes forts, des corps qui ploient
sous la charge et jubilent dans le défi.
De la fierté à revendre, une langue pour ne pas se dire de ce pays ci, une culture ancestrale qui fait de ce peuple une énigme et une extraordinaire offrande à notre nation.
Des noms imprononçables, les lettres accentuées dont nous ignorons jusqu'à l'existence et un goût immodéré pour l'excès.
De l'autre les princes d'Occitanie. La capitale économique et le berceau du jeu de mouvement, de l'école du Rugby qui chante avec le cuir. Des amateurs éclairés, des
connaisseurs qui veulent de l'épique, du colossal et du sublime. Des gens du Sud, de tous les sud ou presque qui se sont trouvés une patrie au bord de la Garonne.
De l'insouciance que donne une opulence certaine, un accent accentué plus qu'une langue oubliée par beaucoup. Une façon d'exagérer tous les propos, de bomber le torse et de
rouler les mécaniques sans vraiment se pendre au sérieux. Ils n'ont qu'une seule conviction : le meilleur Rugby au monde vient de chez eux !
Et tous ces braves gens vont se chambrer et s'embrasser, se mesurer en des joutes stupides pour un apéro géant qui a échappé à la rigueur de nos ministres à triste mine. Ils se
saouleront plus de mots que de boissons, de jolis gestes réinventés que que vaines querelles oubliées. Ils sont le public sportif tel qu'en tous lieux et toutes disciplines nous aimerions
croiser.
Rougement vôtre