28 Octobre 2010
L'adverbe des temps nouveaux …
Dans une ville qu'il ne m'appartient pas de nommer ici, il existe un personnage fort peu fréquentable qui manie le bâton bien plus aisément que la carotte ! L'homme est rigide, son langage tout
autant, ses manières un peu plus souples, nul n'est parfait même lorsque l'on se targue d'être du parti de l'ordre nouveau.
Nostalgique de la lettre de cachet, notre sémillant adjoint si policé fait porter ses missives par des coursiers motorisés. Il faut bien céder parfois aux exigences de la modernité. Que les
vaguemestres soient des fonctionnaires territoriaux pourrait relever de l'abus d'autorité si cette remarque n'était qu'un simple pléonasme pour définir notre homme.
Qui n'a jamais usé d'une petite faveur lui jette la pierre. Gardez-vous cependant de manquer votre cible, il vous en coûterait immédiatement ! L'homme ne plaisante pas et il le porte sur lui. Il
a ce « je ne sais quoi » qui vous donne des frissons dans le dos, une rigidité de barreaux de prison en quelque sorte.
Il n'est pas d'usage de plaisanter sur le physique d'un personnage, fut-il un homme public, même si celui -ci se complaît davantage dans l'ombre, au cœur des ruelles sordides. Je me targue
de le traiter avec égards, ce qui ne suppose jamais la réciproque quand notre homme prend en grippe un malheureux opposant, un dangereux laxiste, un diabolique libertaire.
Je m'accorde la possibilité d'évoquer la forme, d'examiner le champ lexical qu'use ce grand condé quand il prend la plume pour mettre en accusation. Un mot suffit parfois à comprendre l'âme de
l'épistolier. Il me fut permis de tomber par hasard sur un bijou, une perle rare, un adverbe qui place ce personnage dans le rang des fourbes, des retors, des insidieux et des dangereux.
Toutes ces qualités doivent le flatter et je ne crains pas de le brosser dans le sens du rebrousse-poil ! Moi qui abuse de l'adverbe à longueur de billet, je ne peux que m'incliner face à celui
qui n'hésite pas à appuyer un argument par un « derechef » parfaitement emphatique. Celui qui se permet de le glisser dans un courrier n'est
pas homme à reculer devant les excès de toutes sortes.
Que ce « derechef » fleure bon l'ordre et le désir d'absolue pureté. Même si le mot n'a aucune relation étymologique avec ce chef qu'il
rêve d'être un jour dans sa bonne ville, il ne trompe personne sur le fond autoritaire d'un homme qui se supporte pas de cet « encore » bien trop récidiviste et pourtant beaucoup plus léger.
À son « derechef », il eut pu tout aussi bien substituer un « de nouveau », qui rentre parfaitement dans son besoin d'ordre éponyme. Mais
l'homme n'aime rien tant que les très vieilles recettes de la maréchaussée, des escouades de vigiles et des gardes nationaux. Son adverbe obsolète lui confère les vertus de la réaction.
C'est d'ailleurs pour les mêmes mauvaises raisons qu'il abandonne ce « à nouveau » plus élégant mais tout aussi gracile. L'élégance pour lui ne se conçoit qu'avec un bel uniforme ! Oui décidément
son « derechef » lui colle à la peau avec une remarquable précision.
Virtuose du violon et du sifflet à roulette, il eut pu choisir au bout de sa partition ce petit « bis » qui me semble plus mélodieux que l'adverbe de son cœur. Mais si l'homme aime manier la
baguette, ce n'est certainement pas pour des fredaines,
Non, il a parfaitement choisi. Ce mot l'illustre à merveille. Il sied à ce personnage réputé pour toutes les mesures liberticides qui jalonnent ses années de turpitudes policières. Il lui donne
même une particule, des lettres de noblesse quand il laisse tant de pauvres bougres dans la détresse.
Derecheffement sien.