Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
25 Septembre 2011
La foule immense du festival de Loire, le plus grand rassemblement européen de marine fluviale, déambule entre quais et fleuve. Flot ininterrompu, elle avance au rythme des
spectacles, des guinguettes et des stands à gogos. Nous, sur nos petits bateaux de bois, nous ne sommes que prétexte à la fête, décor de fond, toile peinte
et lointaine pour faire illusion.
Trop rares sont les chalands qui prennent le temps de se poser près de l'onde, d'écouter le murmure du fleuve, de tendre l'oreille aux histoires du marinier à pied. Je prêche
dans un désert peuplé d'une multitude indifférente. Il en faut du courage pour dire sa passion Loire quand c'est la foire qui attire ces gens. Faut-il que
nécessairement, toute fête populaire ne soit qu'irrémédiablement vulgaire ?
L'animateur officiel tient le haut de la sonorisation. Il faut peupler le silence, envelopper les spectateurs de paroles creuses, d'annonces enthousiastes, de propos
redondants. Il parle pour dire ce que tous voient, n'ajoute rien à la chose et sa voix discordante est bruit de bas-fond. Quand, finalement, il découvre enfin qu'il n'a rien à dire de vraiment
nécessaire, une musique hurle à nos oreilles. Le bruit est indispensable à la fête, c'est maintenant un axiome incontournable.
Les visiteurs sont maintenant habitués à cette surenchère sonore. Les scènes se font concurrence, il faut, comme les soirs de fête de la musique, hurler plus fort que le
voisin, cracher du décibel ou mourir. C'est la course au vacarme et le spectateur ne sait plus tendre l'oreille. Écouter une voix seule ou aller vers des
mariniers qui chantent est effort insurmontable pour le plus grand nombre.
J'ai compris qu'il fallait haranguer la foule pour prendre dans mes rets quelques rares passants attentifs. Je fais le clown avec mon chapeau de feutre noir, ma marinière et
mon air bête. Le résultat est maigre, la pèche n'est pas fameuse, il m'eut fallu tendre un grand filet de barrage. Qu'importe, ceux qui prennent le temps d'écouter
l'inconscient seront peut-être, à leur tour, gagner par la passion Loire.
C'est un prosélytisme nécessaire, le fleuve est en danger. Sur l'espace même de ce miroir aux mouettes, l'eau vient à manquer, les ponts sont infranchissables pour nos navires
en bois et le dhuit menace de s'écrouler. Si se tourner vers le fleuve fut belle et merveilleuse idée, il faudrait que l'effort s'inscrive dans le temps avec une
connaissance réelle de son cours.
Les arbres sur le muret de pierres ne sont plus coupés, les racines vont anéantir le travail de tant de nos anciens. On voit de ci de là, brèches qui se forment, failles qui se
creusent. Quand le dhuy tombera, la Loire ira à nouveau jeter des yeux doux sur la rive opposée. Les berges sont laissées au même abandon et notre canal prend l'eau
de toutes parts, même si pour la fête, on lui a donné allure factice !
Le vernis n'est pas suffisant, il faut travail de romain et patience immense pour que dame Liger reste présentable en son écrin d'Orléans. L'argent mis dans la fête ne serait
que poudre aux yeux si rien n'était fait le reste de l'année. Ce fleuve est notre joyau, c'est en le déclarant haut et fort en ce Festival que nous pouvons encore
sauver ce qui peut l'être.
Si vous avez pris le temps de m'écouter, partez avec cette certitude que nous avons un trésor à préserver, que plus nombreux nous serons à vouloir
le protéger, plus grandes seront nos chances de continuer à couvrir la belle d'un regard énamouré. Mais ne soyez pas chagrin de ce petit couplet discordant, ouvrez les yeux, la Loire est
belle couverte de nos toues, nos plates, nos fûtreaux et nos gabares. Prenez le temps de vous en régaler !
Discordement vôtre.