Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La mirifique épopée du petit étameur.

Les pérégrinations d'un ambitieux

 

 

 

Il advint en ce temps-là un bien curieux cheminement pour un jeune homme à la mine avenante qui envisageait une vie itinérante pleine d'imprévus et de rencontres. L'époque n'était pas encore au bilan de compétence ni aux conseils d'orientation. C'est l'université de la vie, celle qui ne distribue pas des médailles en chocolat, qui guida son parcours par une succession de tâtonnements qui jalonnèrent ses premiers pas. Qu'importe du reste ces échecs relatifs, pour lui, l'essentiel était de se mettre en marche, d'aller de l'avant sans jamais se retourner ni se soucier des désagréments qu'il put occasionner lors de ces tentatives avortées.

Tour commença pour lui dans ce qu'il pensa être la pratique la moins exigeante, celle qui ne demandait nulle dextérité. Il est vrai qu'il avait été élevé dans du coton, promu dès son plus jeune âge à un avenir semé de roses. Il s'était nourri de belles lettres et de quelques chiffres. Il eut pu faire commerce de l'usure, une tentation qui le titilla un temps avant que de se tourner vers son amour des mots.

Il eut pu se faire écrivain public, l'idée était séduisante pour qui aime prendre la plume pour écrire des sornettes, des fabulettes ou de belles tirades. Mais il comprit bien vite qu'il eut fallu se mettre au service du commun, les tirer d'affaire par une missive bien sentie, les sortir d'un mauvais pas en assurant leur défense par un exposé circonstancié. Ce n'était pourtant pas sa tasse de thé, le pauvre garçon manquant tellement d'empathie qu'il était incapable de se mettre à la place de son prochain.

Il pensa faire entendre sa voix si singulière, si particulière, si différente. Il pencha vers une belle activité artistique : Chanteur de rue ! ». Il avait une chanson préférée : un air traditionnel intitulé le Refuge. Il lui suffisait d'étoffer son répertoire, de parfaire son chant, pour se faire sa place au soleil. Hélas, mille fois hélas, il chantait comme une casserole et était incapable en même temps de jouer d'un instrument qui ne fut pas à vent. Encore une piste qui se fermait devant lui.

Il dut se résoudre à mettre la main à la pâte. Sa faconde ne suffisait pas à faire avancer son destin. Il examina attentivement les possibles quand tout naturellement l'expression lui mit la puce à l'oreille. Pour se sortir du pétrin, il se ferait boulanger ambulant, créant ainsi une nouvelle manière de penser la profession. Une fois encore il fit un four et cette fois-là, il ne fut pas en cause. Une guerre à nos frontières fit monter le prix du bois, lui qui se trouvait sous la coupe de la fluctuation des prix, ne pouvait alimenter sa flamme.

Un autre métier de bouche lui vint en tête. Marmiton à domicile, voilà un concept qui devrait trouver des émules tant bien des gens n'aiment plus perdre leur temps à cuisiner. Une bonne campagne de communication et il n'aurait qu'à traverser la rue pour aller proposer ses services dans de grandes demeures bourgeoises. Il allait franchir ce pas quand une nouvelle profession lui coupa l'herbe sous le pied. Des porte-cantine, des coursiers se mirent à sillonner les rues pour livrer à domicile par tous les temps et pour une misérable pièce, des plats élaborés par des chefs étoilés. Décidément, toutes les idées lui filaient entre les doigts.

Il tenta bien de rivaliser avec ses malheureux livreurs. Il fut même à couteau tiré avec ces pauvres bougres qui n'avaient même pas de quoi se nourrir correctement, une fois leur travail de forçat accompli. C'est après une algarade avec l'un d'eux qu'il reprit sa route en boitillant quelque peu. Un caillou s'était glissé dans ses godillots. Il n'en fallut pas plus pour mettre une nouvelle pierre dans son jardin : il se fera affuteur-rémouleur itinérant.

Une meule, quelques outils et le tour serait joué. Il allait pouvoir rouler sa bosse et ses clients, car naturellement, l'obsession de notre homme était de faire beaucoup d'argent. Il ignorait tout de la réalité de ce grand pays qu'il allait devoir parcourir de long en large. Il se contenta d'apporter une pierre pour son coup de fusil, ce qui fit rapidement long feu tant que le rémouleur était moulu. Il devait une fois encore changer son fusil d'épaule.

Il voyait tous ses projets, ses espoirs s'éteindre un à un, il en vint même à douter de lui ce qui n'était nullement dans sa nature. Il lui fallait se reprendre, trouver chaussure à son pied pour aller à nouveau de l'avant. Il venait de se remettre en marche par la magie des associations d'idée. Il est vrai qu'il payait fort cher les services d'un cabinet conseil spécialisé dans l'art de vendre du vent. On lui glissa à l'oreille que pour celui qui se prétend en Marche, rien ne serait vieux que de se faire cordonnier.

Pauvre garçon, il ne se doutait nullement que les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. Non pas que la maxime s'applique à lui mais plus prosaïquement à ses suiveurs, ses clients potentiels, les gens de son entourage, tous chaussés de godillots usés jusqu'à la corde et qu'il était impossible de remettre en état de marche. Un nouvel échec qui le mit un temps sur le flanc. Le malheureux en eut une jaunisse et l'haleine fétide.

De garder la chambre en dépit de son désir de changement le guida vers un nouveau destin. Il se souvint de cette réflexion peu amène : « Tu chantes comme une casserole ! » Il se frappa la poitrine en s'écriant : « Bon Dieu, c'est bien sûr ! » Pour raviver sa flamme, il lui fallait travailler l'étain. Si l'idée vous semble absurde, elle exprime parfaitement le mode de penser de ce curieux personnage.

Il se fit étameur dans une période de plus en plus trouble. La guerre au loin, les troubles à  l'intérieur, ne lui permirent pas de battre la campagne. Il dut même battre en retrait, renoncer à son projet, retourner auprès de sa vieille maman. Quand l'État meurt, l'ambition n'est plus possible. Il s'en retourna d'où il était venu. Il se fit humble gardien de panda dans un jardin zoologique. Lui qui entendait se faire le spécialiste du coup de bambou, il passa le reste de son âge à en distribuer à ses petits protégés. Lui qui rêvait d'aller de l'avant, sa vie s'immobilisa au rythme paisible de ces chers ursidés.

À contre-sens.

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article