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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Au pied de la dette

Attention à la marche…

 

 

Bien avant la Renaissance, le pied fut le véhicule privilégié de la marche tout autant qu'un instrument de mesure tout en se gardant bien de rester dans les coulisses, manière pour lui de rester ancré à la terre et aux réalités tangibles. Il avait trop souvent entendu que se prendre en main risquait fort pour lui de côtoyer les étoiles jusqu'au septième ciel. Et ça, le pied n'y tenait pas.

Hélas quand son avènement fut venu, il s'entoura de godillots qui battaient la semelle afin d'obtenir ses faveurs. De vulgaires valets attachés à ses basques, des suiveurs tout juste capables de lui emboîter le pas alors qu'il envisageait une marche triomphale transformant radicalement la marche des affaires. La première levée fut pour lui un coup d'essai. Il tituba et chancela quand de la rue se levèrent des traînes savates, des êtres dépenaillés qui firent une jaunisse devant toutes les chausse-trappes qu'il entendait mettre sur leur parcours.

Le pied royal dut en rabaisser, se mettre un temps à l'écoute de ses maudits arpions qui se lançaient dans une danse de Saint Guy sur tous les ronds-points d'un pays, soudain à l'arrêt. C'était vilain symbole pour celui qui entendait aller de l'avant sans rester les deux pieds dans le même sabot. Il recula de quelques pas, fit des simagrées verbales avant que de sauter le pas en prenant tout ce menu fretin par-dessus la jambe.

La voie était à nouveau dégagée pour poursuivre sa marche triomphale. Elle se contenta de se croire héroïque alors qu'elle ne fut que pathétique quand il fallut interdire de battre le pavé dans tout son royaume. Le couvre-pied était de rigueur pour tous ses sujets contraints de garder la chambre. Il imposa du reste le port de la chaussette de laine, manière symbolique de détricoter toute la liberté fondamentale d'aller et venir à sa guise.

Les petits pieds durent s'enfoncer des échardes pour recouvrer le droit de vaquer selon leur désir. La loi martiale fut évitée de justesse mais le pas de l'oie devint la norme pour avancer courbé devant les spadassins et autres fantassins de service. C'est alors que notre souverain bascula dans la plus extravagante manière de faire son chemin.

Lui qui jusqu'alors affirmait son ambition de marcher vers des jours radieux en allant sur ses deux pieds, il eut l'idée saugrenue de prétendre le faire en même temps. Pied droit et pied gauche joints, le pays connut alors un grand saut dans l'inconnu. La cheville ouvrière de la Renaissance pédestre se savait épiée, le train de l'état avait changé de pointure tandis que des cabinets conseils lui flattaient la plante des pieds.

Il se représenta devant les suffrages d'un peuple auquel il avait mis un boulet à un pied. Une stratégie payante en agitant la crainte de trop tirer à droite. Il fut réélu dans un fauteuil, le pied renaquit de ses cendres tandis que le peuple, qui n'était pas dupe de ce pied de nez à la vérité, renâcla et continua de traîner les pieds. Devant tant de mauvaise volonté, il imposa désormais la marche à cloche-pied, avec l'obligation de n'utiliser que le pied droit.

Les citoyens se lassèrent vite de cette manière peu orthodoxe de se mouvoir d'autant qu'il les mit au pied du mur en leur imposant de battre en retraite. Seul le monarque pouvait se prévaloir d'un chemin tout tracé tandis que les nids de poule se dressaient sur les sentiers non balisés d'une nation contrainte de marcher deux années de plus au pied de la dette.

L'exaspération grandit, le pied gauche eut des envies de botter le séant de ce petit trou du c... qui n'en faisait qu'à sa tête. Une masse considérable prit son destin en pied pour fouler les rues de tout le pays. Rien n'y fit, le petit orteil de l'arrêt public envoya le pied séculier frapper sur les arpions de ses va-nu-pieds jamais contents.

Plus terrible sera la chute. Notre monarque indifférent aux plaintes de la nation finit par mordre la poussière. Il se prit les pieds dans le tapis, oubliant de lire le sempiternel avertissement qu'il prit par-dessus la jambe : « Attention au nez de la marche quand celle-ci est trop haute ! »

À contre-pied.

 

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