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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le deuxième vœu !

De l'appétence en bord Loire

 

 

Il advint qu'un marinier de Loire qui, tout comme ses camarades, aimait à flâner le long des rives du fleuve, avait la déplorable réputation d'avoir la goule en pente. Pour son malheur, à moins que ce soit pour sa plus grande fantaisie, sur les rives se trouvaient alors une multitude de caboulots, troquets, estaminets, auberges et tavernes pour étancher sa soif et trouver pratique pour belles et longues conversations.

Le métier était rude, rares étaient les distractions en dehors de ces pauses où les gueux de la batellerie vidaient bien plus de chopines qu'il n'était nécessaire à leur hydratation. C'est à l'ombre du cruchon que ces mauvais gars refaisaient le monde, trouvaient embauche ou compagnons pour taper le carton. C'est encore là que s'échangeaient les nouvelles de cette confrérie magnifique qui unissaient les hommes de Saint-Rambert à Saint-Nazaire.

Ce jour-là, notre marinier au gosier avide fit halte à L'Écus Sec, chez le sieur Tatave et son épouse, une maison réputée autant pour sa cave que pour sa table. En attendant que la patronne lui prépare une friture de Loire, un filet de chevesne à la crème et quelques champignons des prairies, l'idée lui vint de patienter en compagnie d'un petit vin clairet du pays.

Il commanda à Tatave une chopine de Gris Meunier, ce bon vin de soif qui venait des 30 000 hectares de vignes qui couraient le long du fleuve de Châteauneuf à Beaugency, sur ses deux rives. C'était au temps d'avant le phylloxera, ce maudit mal qui tua nos ceps et provoqua grand tracas parmi tous ceux qui vivaient du commerce du vin. C'était encore avant l'irruption du chemin de fer, un moyen de transport qui nécessitait alors bien plus d'eau que de vin pour mettre en branle la vapeur.

Pour l'heure pas de crise, les leveurs de coude étaient très nombreux dans le territoire ligérien et avaient de la constance dans l'effort et du rendement dans l'action. Il ne fallait pas leur en promettre sans avoir en barrique de quoi remplir la chopine. C'est ce que fit Tatave pour complaire à ce compère attablé et bien décidé à s'hydrater de la plus belle des manières.

Notre marinier allait se servir un verre quand il vit un petit tourbillon dans son cruchon. Si, sur la Loire le chose est fréquente, elle est bien plus rare dans un récipient de vin. L'homme était curieux de nature et prudent dès qu'il s'agissait de boire un canon. Un vin tourné vous gâchait la journée et le plaisir du gourmet. Il s'approcha d'un peu plus près pour voir de quoi il pouvait en retourner.

C'est ainsi qu'il découvrit qu'une mouche vivait les tourments les plus agréables qu'il soit. Elle se noyait dans le sang de la terre. Pour être buveur conséquent, notre homme n'en était pourtant pas un monstre. Il retira de ses gros doigts, plus habitués à tirer sur la grosse corde de chanvre qu'à jouer les secouristes prévenants, la pauvre bête aux abois !

Plus délicat qu'il n'y parait sous ses allures de brute épaisse, il souffla avec bienveillance sur les ailes de la mouche afin qu'elle puisse reprendre son envol. C'est alors que ce qu'il vit le fit croire un bref instant qu'il avait vidé plus de flacons qu'il n'avait coutume de le faire à cette heure de la journée. La mouche se transforma en une belle demoiselle aux formes girondes et au sourire avenant.

Retrouvant bien vite ses esprits, trouvant la servante à son goût, il entreprit de lui faire immédiatement un petit brin de conversation. Le marinier est homme à ne pas se laisser désarçonner par ce qui pourrait troubler ceux qui restent à terre. Sur la Loire, il n'est pas rare de voir des choses incroyables, il se dit que ce devait être une nouvelle facétie de la rivière.

La jeune fille comprenant bien vite que ce garnement était capable de lui jouer un vilain tour à sa façon s'empressa bien vite de couper court à ce petit brin de cour. Il fallait calmer les ardeurs de ce gaillard avant qu'il ne soit trop tard. « Monsieur lui dit-elle, je vous remercie de m'avoir délivrée de l'horrible maléfice qui était le mien. Mais, ne vous méprenez pas, pour princesse ensorcelée, je n'en suis pas pourtant fille qui se donne facilement, surtout à un marinier de Loire. Pour votre service, je veux bien exhausser deux vœux et pas un de plus. Vous eussiez été prince charmant, que nous aurions pu nous mettre d'accord sur des conditions plus favorables. Mais tel n'est pas le cas, contentez-vous de ce que je vous propose ! »

Notre homme de la Loire ne sembla pas contrarié par ce discours un peu cavalier. Il avait l'habitude de fréquenter les lavandières, elles non plus n'avaient pas leur langue dans la poche. Il fallait s'y faire, le long de nos rivières, les dames savaient fort à propos, repousser des avances qui avaient la fâcheuse tendance d'être systématiques ! Dire non était une garantie de tranquillité. Pour notre larron, puisqu'il y avait belle occasion, il fallait la saisir sans se poser plus de questions et satisfaire ses caprices.

« Mademoiselle, j'ai grande et belle envie ! Puisque vous disposez de pouvoirs magiques, j'aimerais que de ce cruchon, du cul, jamais au grand jamais, je n'en vois le fond ! » La demande était fort simple pour une magicienne capable de prouesses d'une toute autre trempe. Elle prononça une formule étrange et fit un geste vers le récipient.

Il ne se passa rien d'exceptionnel. Ni fumée, ni éclair. Le marinier pensait avoir été roulé par une plaisante dame qui voulait se moquer le lui. Il remplit son verre qu'il but d'une seule goulée. Recommença la manœuvre une bonne dizaine de fois. À sa grande surprise, la chopine était toujours pleine à ras bord.

Il oublia vite la dame pour appeler autour de lui tous les boit-sans-soif de la Taverne, une catégorie qui ne manquait pas alors de candidats. Ils se rassemblèrent tous pour profiter du miracle du cruchon dont on ne voit jamais le fond. Un long moment, ce prodige occupa tous les esprits et remplit bien des gosiers. Les conversations allaient bon train et le ton montait chez l'ami Tatave. Seul le tavernier voyait la chose avec dépit, le prodige ne remplissait guère sa bourse même si la compagnie avinée commanda force charcutailles pour éponger les surplus.

Le mariner et ses collègues en avait oublié la magicienne. Celle-ci en eut vite assez d'attendre ce grossier personnage. Elle toussa, fit un peu de bruit, lui tapa dans le dos pour attirer son attention. Il finit par se retourner vers elle, un peu agacé qu'on vint l'interrompre dans ses agapes ! « « Il vous reste un vœu à exhausser ! » Que voulez-vous encore, mon bon sauveur ? » demanda-t-elle à notre marinier au visage empourpré.

L'autre, tout à ses excès alcooliques avait oublié de quoi il en retournait. Par habitude autant que par exaspération il lui dit « La même chose ! ». Et sa demande fut honorée à l'identique de la première, ce qui ne servait à rien, en définitive. On sait depuis qu'il vaut mieux boire avec modération car l'abus peut vous faire manquer de belles occasions. Mais pour vous plaire, ce n'est pas de vin que mon cruchon est intarissable. C’est de nos belles histoires de Loire, bonimenteries à ne pas croire et de celle-ci : vous pouvez en abuser sans le moindre risque.

À contre-pied

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