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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Faire du gothique un roman.

L'histoire à rebours.

 

 

Ils sont preux chevaliers, gentes dames, humbles manants, seigneurs aventuriers, mères abbesses ambitieuses, serfs souffreteux ou ribaudes égrillardes, se mêlent, se croisent, s'ignorent, se déchirent, s'aiment ou s'entre-tuent dans un passé si lointain que nul ne viendra se plaindre d'avoir été trahi, trompé, falsifié. Le gothique a la cote, de maille ou d'un succès qui se satisfait d'une belle couverture pour tirer le lecteur à soi.

Le sang y coule à flots tumultueux afin que vikings et autres barbares naviguent entre deux razzias, pour semer la terreur et pimenter le récit. Le malheur règne en maître des lieux tandis que la misère fait son office à l'ombre des abbayes fastueuses et des châteaux opulents. L'amour est courtois à moins qu'il ne se consomme et se consume dans les tavernes, vénal, banal, vénérien et fatal. Les bons sentiments ne durent jamais bien longtemps, l'époque est au sordide et au fétide.

Le moyen de faire des sous, quelque soit l'âge, c'est un beau roman au Moyen-Âge. Quand les piliers m'atterrent, que le plan tombe en ruine, que les fondations se lézardent et que les chapitres s’empilent, l'histoire tient lieu de trame, le récit se contente d'enfiler les truismes et les perles, les meurtres ou les viols, les concours de circonstances et les improbables dénouements.

Le feuilleton à la petite semaine a pris du grade, le gothique s'écrit en lettres capitales pour une littérature minuscule. L'essentiel est dans le rebondissement à condition qu'il sente l'hémoglobine ou bien l'eau de rose. Il est d'ailleurs possible de passer de l'un à l'autre dans la même phrase même s’il convient que celle-ci soit la plus courte possible. La conjonction ou le pronom relatif semblent ne pouvoir franchir le mur du temps

À ce propos, le médiéval a un penchant affiché pour le présent dans un mode indicatif qui évite toute complication grammaticale. Le français se faisant alors langue morne afin de ne pas perdre son latin. Point n'est du reste besoin d'une prescription en bonne et due forme rédigée avec Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, il est conseillé en effet pour ne pas dépasser la dose prescrite que tous les faits soient antérieurs.

Le vocabulaire se plie aux attentes d'un lectorat qui n'a que faire du mot adéquat extirpé d'un contexte qui n'est que toile de fond, pour narrer dans une langue basique, des aventures mirifiques, guerrières et parfois extraordinaires. Les historiens s'arrachent l'écheveau, toutes les tenues sont en matières synthétiques.

L'essence même du gothique est d'être flamboyant, de briller de mille incendies, de broyer et de pourfendre à tire larigot. Quelques pincées d'ésotérisme, un soupçon de sorcellerie et le bûcher des vanités du véritable auteur peut calciner tous ses espoirs de vendre autre chose que du gothique à la jeunesse. Le roman est passé de mode, ce qui du point de vue strictement chronologique est parfaitement logique.

Si l'habit ne fait pas le moine, il nimbe son porteur d'une aura d'auteur indiscutable, adoubé par un seigneur médiéval ou le roi Arthur en personne qui laissera dans l'ombre le romancier de territoire, le spécialiste du polar bretonnant, le maître du suspens, le prince de carambouille facétieuse. La robe et l'épée ne font ici référence ni au clergé ni à l'académie, mais à un style qui galope sur la page sans aspérités ni reliefs.

La mode passera sans doute mais en attendant elle fait le bonheur des graphistes qui s'en donnent à cœur joie à Mont-joie comme à Saint Denis, pour surcharger la jaquette d'enluminures, ce qui relève de la publicité mensongère, tant celles-ci sont absentes en pages intérieures. Tout ceci du reste n'est qu'un exercice de style qui me mènera une fois de plus au bûcher.

À contre-temps.

 

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