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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

À deux c'est beaucoup mieux.

Reprise en main

 

 

 

 

Saint-Nicolas se la coulait douce, goûtant une retraite méritée, depuis qu'un collègue à barbe blanche l'avait prié d'aller sucrer les fraises. Si la formule n'est guère aimable, elle s'explique sans aucun doute par sa cape rouge, sa barbe blanche et sa hotte à sucreries que l'autre copieur lui avait empruntées sans nulle vergogne. Dans ce monde des icônes et des légendes, ne pensez pas que les bonnes intentions sont monnaie courante. Les inimitiés et les jalousies ne sont pas rares pour peu qu'on se dispute une place à la droite du père.

Saint-Nicolas s'était gardé un petit pré carré, un domaine pour lequel les concurrents aussi nombreux qu'ils puissent être, n'en avaient pourtant pas l'agressivité et l'ambition démesurée du bonhomme Noël. Saint Clément, Saint Roch, Sainte Catherine et d'autres encore, partageaient les tours de quart pour assurer la garde des marins et des mariniers, des gens qui vont sur l'eau et qui ont toujours besoin d'un bon secours.

Il refaisait son apparition le 6 décembre ou à une date proche car il devait admettre que la présence du téléthon le contraignait à faire preuve d'un peu de souplesse sur le calendrier. En bon diable qu'il savait se montrer, il n'en faisait pas toute une affaire, se montrait conciliant, acceptant de se plier aux exigences de la charité médiatique. Les temps changent, ils se trouvent même désormais des paroisses qui organisent le denier du culte en ligne et par prélèvement bancaire.

Or donc, Saint Nicolas en était là de ses réflexions pas tout à fait catholiques, il faut bien le confesser, quand il jeta un regard critique sur son successeur. Ne lui en faisons pas grief, le pauvre homme avait largement de quoi être tracassé. Si de son temps, son rôle auprès des enfants était basé sur une confiance réciproque, une forme de contrat de confiance qui supposait une contrepartie, un effort reconnu du côté du bénéficiaire, ses largesses n'en étaient pourtant pas exorbitantes.

Il était du reste associé au Père Fouettard, un camarade certes à la réputation douteuse mais à l'utilité certaine. Avec lui, les garnements recevaient leur juste récompense et lui n'avait qu'à se soucier des enfants sages. Parfois, Saint Nicolas en vient à douter de l'existence même de tels gamins de nos jours. Il est vraiment effaré de voir ô combien son remplaçant a été coupable d’un laxisme sans borne qui a conduit aux plus désolants excès.

Le père Noël n'a cessé de jouer de la surenchère, instillant dans l'esprit des parents et des proches, que plus un enfant recevait de cadeaux, plus ils en seraient récompensés par une attitude raisonnable. Le pire c'est que les adultes ont mordu à cette farce, jouant à qui offrirait le plus tout en entrant de plain-pied dans le piège tendu par la publicité et le matraquage médiatique.

Avec le père fouettard, ils se demandent tous deux s'il n'est pas temps de reprendre du service, de revenir à plus de modération et surtout d'exiger des enfants qu'ils se montrent dignes de tant de largesses. Le cadeau n'est pas un dû mais bel et bien une récompense qui de plus, ne dispense pas de remerciements et de sourires.

C'est à la lecture des lettres que les chenapans envoient à son successeur que le vieil homme a failli faire une attaque d’apoplexie. Des listes interminables, des demandes abracadabrantes, des formules qui sont bien plus des injonctions que des souhaits, les enfants réclament avec la quasi-certitude d'être servis. Pas le plus petit mot sur leur comportement durant l'année écoulée, rarement une formule de politesse pour parachever la chose.

Saint Nicolas se prend soudain de l'envie d'en remettre quelques-uns dans le saloir. Tout ça par la faute de cet usurpateur à la solde de la grande industrie et d'un système qui n'a d'autre visée que de détruire la Planète tout en transformant les chérubins en tyrans domestiques. Tandis que le vieil homme fulmine, son compère le père fouettard se sent des fourmis par tout le corps. Il l'entend vociférer : « Une reprise en main s'impose drastiquement, désormais ! »

Le saint homme tente vainement de clamer son collègue. Il tente de lui expliquer que désormais lever la main sur un enfant peut vous mener en prison, que seules l'explication et la persuasion sont tolérées alors que l'industrie du jouet et du divertissement de son côté dispose de tout l'arsenal pour conditionner les gamins. Un combat à armes inégales, perdu d'avance tandis que le général en chef, le Père Noël engrange les bénéfices et les dividendes, disposant de tous les leviers pour semer son venin mortel.

Les deux compères, devant un tel désastre ne voient guère comment revenir en arrière. Un cataclysme seul pourrait mettre un coup de frein à ce délire et encore, rien n'est moins sûr. Les restrictions annoncées cette année seront de peu de poids devant toutes les sollicitations, savamment orchestrées par tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir. Dire qu'autrefois, il était question de ne pas être soumis à la tentation dans les prières qui accompagnaient la messe de la nativité.

Saint Nicolas baisse les bras, il renonce à sa mission sacrée. L'affaire est bien trop mal embarquée pour avoir une quelconque chance de réussir. En bon patron des gens qui vont sur l'eau, il perçoit quand le naufrage est inévitable. Il n'est plus rien à faire pour sauver cette société qui se noie dans l'opulence, la débauche, la gabegie et l'égoïsme forcené. Il attendra son heure quand le déluge et l’apocalypse auront remis les idées en place des rares survivants du désastre. Le père fouettard lui a assuré qu'il a été sollicité par Satan et ses sbires pour accélérer l'affaire. Ça ne saurait tarder…

À contre-feu.

NB : L'iconographie de l'époque donne une couleur sombre au père Fouettard, allant jusqu'à la caricature. Ceci reflète un état d'esprit d'une époque passée marquée par une certaine vision du monde que je ne peux cautionner en dépit des illustrations.

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