Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
30 Octobre 2022
Confession d'un bouquin dépressif !
Il advint qu'un livre, las de reposer inutilement sur une table, chercha à se faire remarquer afin de pouvoir enfin être adopté par un membre d'une espèce en voie de disparition : le lecteur. Quoiqu'il reposa au sommet d'une pile de ses semblables au point d'en avoir le vertige, l'ivresse des hauteurs, il demeurait sottement en suspens sans attirer le moindre poing ni le plus petit regard compatissant.
Il avait bien cherché à se faire remarquer, usant des subterfuges des pirates de l'édition. Il songea tout naturellement à se grimer avec un bandeau racoleur pour que le quidam de passage s'arrête, interloqué devant une vaine promesse, une exclamation oiseuse ou un prix incertain. N'ayant pas de relation dans le milieu lui qui se plaisait dans la marge, tant il avait nécessité de corrections, il cessa de jouer de ce procédé quelque peu fallacieux.
Il crut opportun de se faire accompagner d'un recueil d'articles de presse, soigneusement déposés sur un lutrin, glissés amoureusement dans un porte-vue qui le faisait devenir chèvre au point de se nommer presse-book dans les milieux autorisés. Mais pour son malheur, il ne trouva jamais de journalistes suffisamment consciencieux pour le parcourir de la première à la dernière ligne.
Il aurait dû déléguer l'article à un pigiste se contentant de narrer la vie de son créateur et d'afficher sa trombine, ce qui dans son cas, ne poussait guère à l'achat compulsif. Il avait le malheur d'être né sous la plume d'un personnage qui n'avait rien d'avenant, de plaisant lui qui était né avec un nom inconnu dans le milieu. Il lui fallait compter sur lui-même pour se faire une place en tête de gondole, aventure dont il ne se sentait pas capable.
Il se dit que la technique pouvait venir à son secours. Il songea un temps à remplacer les numéros de page par un QR-code qui assurerait le travail fastidieux de lecture à la place de celui ou de celle qui tentait cette curieuse expérience. Hélas, le temps de lire le code barre, l'appareil sonnait ou bien donnait des nouvelles de la Planète, ce qui renvoyait son message aux oubliettes.
Le livre broyait du noir, tombait en dépression, faisait grise mine tout en ne parvenant pas à attirer le chaland sans tirer la couverture à lui. Avouons à sa décharge qu'il avait jaquette insipide, sans titre racoleur ni illustration coquine. Il avait fait le choix de la sobriété, erreur funeste dans ce monde des apparences et de la vacuité.
Il était trop tard pour se refaire la façade et encore plus pour tourner le dos et se parer de critiques venant des plus grands titres de la presse nationale. Même sa couverture lui faisait froid dans le dos, quelques lignes qui laissaient le passant indifférent. Il est vrai qu'il eut fallu à celui-ci soulever cet ouvrage, faire l'effort de le retourner et lire ce résumé maladroit. Le plomb pèse trop lourd pour qui n'a ni l'envie ni le désir de se muscler les neurones.
Il se décida à faire salon puisque les vitrines des librairies étaient tombées aux mains des éditeurs et de leurs stratégies hégémoniques. Il ne peut se glisser dans cette foule de noms célèbres qui prétendent écrire ce que, le plus souvent, ils ont confié à un rédacteur anonyme. La place était trop chère et ne venant pas de la capitale, son titre et son auteur minuscules n'avaient nul espoir de faire la devanture.
L'aventure tournait court. Il se résolut en désespoir de cause à faire salon en compagnie de milliers d'autres collègues, promis à l'indifférence et au retour à l'envoyeur. Il eut un temps le sentiment d'être au chaud, de trouver là des pareils, des compagnons d'infortune. Il ne savait pas encore qu'en ces lieux, si les auteurs sont légions, les acheteurs sont une denrée rare, une exception qu'il convient d'attirer dans ses rets.
Lui n'en était pas capable. Il manquait de caractère en dépit de son allure gothique, de son titre roman et de son récit picaresque. Il ne pouvait d'avantage compter sur son auteur, un être falot, un piètre orateur, un misérable vendeur. Si l'écrit est son domaine, l'art de leurrer les gogos n'était en rien sa tasse de thé. Le livre n'avait ainsi aucune chance de sortir du lot lui qui pourtant avait mis tant de cœur à son l'ouvrage !
Il accepta la mort dans l'âme, d'abandonner la partie, franchissant le pas afin de faire le grand saut dans le vide. Il confia sa destinée au pilon, se réjouit de passer une seconde fois sous presse, ignorant qu'il y serait laminé, déchiqueté, écrabouillé. Il n'était plus que poussière, l'épilogue bien avant la prologue, lui qui n'avait pas même droit au catalogue ni aux rayons des bibliothèques. Sans avoir la côte, la classification décimale de Dewey ne lui apporterait pas le moindre rayon de soleil.
Le point final en travers de la gorge, le livre n'était plus, lui qui n'avait jamais été véritablement. Que de sueur et d'effort pour une fin qui est bien plus qu'une chute, une déchéance, un effondrement, un cataclysme. Il faisait don de son titre et de sa substance même au silence et à l'absence. Il n'avait été qu'une cartouche à blanc remplie d'une encre fort peu sympathique, la bouteille à l'amer d'un écrit vain. Il convenait pour lui de tourner la page puisqu'il n'avait plus droit au chapitre.
À contre-sens.