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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Ce n'est pas le pied.

Peu lui en chaut.

 

 

 

Il advint que Pierre, un brave garçon Tillay-Le-Péneux en Beauce, pas vraiment gâté par la bonne fortune, n'ayant ni soutiens dans l'existence ni ce petit supplément d'esprit qui permet d'éviter bien des écueils, se trouva en bute aux remontrances incessantes de son patron, un fermier opulent, qui le traitait fort mal.

Pierre las de se faire humilier à longueur de temps vit monter en lui une profonde haine vis à vis de son tourmenteur. N'en pouvant plus, il résolut de tenter sa chance sur les chemins, allant au petit bonheur la chance pour changer sa destinée. L'époque n'était guère propice à la bonne fortune, il alla de désillusions en désagréments, traînant sa misère et son baluchon à l'infortune du pot.

Il était au plus mal, à bout de ressources et de force quand il croisa sur son chemin un être qui avait tout l'air d'être un mauvais diable. Rien en ce triste sire n'aurait pu inspirer confiance à qui avait encore la tête sur les épaules et le ventre plein. Pour Pierre tout au contraire, ne pouvait être que bon apôtre qui lui tendait la main alors que le mauvais sort s'acharnait sur lui. Sans hésiter un seul instant, il plaça ses pas dans son ami de rencontre.

L'homme était, l'histoire le retiendra ainsi, un chauffeur, un de ces vilains personnages qui écumèrent la Beauce au tournant de la Révolution. Le pays en était arrivé à ce degré de misère que pour subvenir à leurs besoins, certains en étaient venus à tourmenter leurs semblables pour échapper à leur condition. Ce diable d'homme faisait partie de l'odieuse bande d'Orgères. Il entraîna Pierre dans la déchéance et le crime.

Au début, son nouvel ami eut de quoi satisfaire son désir de vie facile. L'argent lui brûlait les doigts, il dépensait sans compter l'argent qui ne lui avait couté aucun effort. Pierre, grisé de vin, de tavernes et de filles faciles fut une proie facile pour qui avait besoin d'un homme de main. Âme damnée de son bienfaiteur, il plaça en lui toute sa confiance, les yeux fermés.

Bien vite, cet oiseau de mauvais augure lui confia qu'il était membre d'une bande qui se retrouvait de temps à autre pour rétablir quelque peu l'équilibre des choses, participer à la juste équité en prenant l'argent là où il avait été honteusement accumulé sur le dos du travail des miséreux. L'époque était au discours simpliste, Pierre s'embarqua dans l'aventure, sans jamais user de l'éducation chrétienne que les siens avaient tenté de lui inculquer

Quand son compagnon lui demanda, après lui avoir fait miroiter les mirages d'un discours mensonger, s'il connaissait un larron qui avait accumulé bien des richesses sur le dos des pauvres gueux de son espèce, Pierre sans hésiter un seul instant évoqua ce maître qui s'était montré si rude à son égard.

L'homme l'écouta attentivement, s'enquit de bien des précisions que Pierre, dans son désir de vengeance, lui céda avec moult détails. Bien vite, à grands traits, il dessina le plan de la ferme, expliquant sans que l'autre l'y poussa vraiment, les cachettes susceptibles de dissimuler le bas de laine du fermier, son ancien maître.

Son ressentiment contre ce méchant homme le poussa à présenter un tableau des plus flatteurs sur sa fortune personnelle, de quoi aiguiser l'appétit d'un bandit de grand chemin. C'est ainsi que bien vite fut décidé de mener une opération contre ce pauvre homme qui avait eu le malheur de se montrer trop sévère contre ce valet pas vraiment dégourdi.

Deux ou trois larrons de la bande furent contactés pour mener l'opération tandis que Pierre, après force boisson, fut exalté au point qu'il allait servir d’appât tout autant que de bourreau. Le garçon, l'esprit troublé par les chopines que ses comparses lui firent boire, se résolut à revenir réclamer justice auprès de celui qui l'avait si honteusement exploité.

C'est ainsi qu'il arriva seul dans la grande cour carrée de la ferme. Il frappa et le fermier qui était attablé en compagnie de sa femme et de son nouveau valet lui ouvrit sans malice, pensant que ce brave garçon, pas finaud certes mais de bon commerce, avait sans doute, un service à lui demander. Ce fut là, pour leur malheur, que ces trois-là, mirent les pieds en enfer.

Pierre entra, suivit prestement par les autres qui s'étaient tapis derrière un tombereau tout proche. Sans avoir compris ce qui leur arrivait, les trois dîneurs se retrouvèrent pieds et mains entravés, couchés sur la terre battue tandis que la mauvaise troupe, ne perdant pas la bonne occasion, se régala des reliefs du repas.

Seul Pierre avait le visage découvert pour que le piège put opérer. Les autres avaient recouvert leur face de suie et d'un grand foulard qu'ils soulevaient discrètement pour se goinfrer avant que de passer aux choses sérieuses. Une fois rassasiés, ils demandèrent à Pierre de mener l'enquête pour savoir où le fermier cachait tout son argent.

Le brave garçon demanda aimablement à son ancien patron ce renseignement qui satisferait ses nouveaux amis. Les autres de rire de sa naïveté avant que lui faire boire le reste d'une chopine avant de lui expliquer que ce n'était pas ainsi qu'on tirait les vers du nez d'une canaille. Pierre sans qu'il comprenne comment il avait pu en arriver là, se retrouva en train d'étendre de l'eau de vie sur les pieds de son patron et de son épouse à qui ses acolytes avaient quitté les chausses.

Puis, il fit ce qu'on lui demanda. L'art de la torture est souvent le fait des faibles qui sont sous l'emprise maléfique de bien plus mauvais qu’eux. Dans le feu de l'action, l'exaltation d'un moment qu'il avait secrètement espéré, le benêt se grima en un monstre sans pitié, faisant bien peu de cas des horribles cris de ceux qu'il avait côtoyé autrefois.

Poussé par les autres, exalté par les hurlements de ses victimes, il se montra d'une cruauté extrême, allant jusqu'à écorcher vifs ceux dont il brûlait les pieds. Sous la douleur, la femme d'abord puis le fermier ensuite avouèrent les différentes cachettes où ils avaient dissimulé leurs maigres économies.

Leur forfait accompli les visiteurs partirent les poches pleines et la conscience tranquille, sachant que seul Pierre risquait d'être inquiété puisqu'il avait agi à visage découvert. Le mari et la femme agonisèrent tandis que le valet qui avait été juste assommé et attaché retrouva ses esprits et parvint à chercher du secours, bien trop tard certes pour inquiéter les malfrats.

Son témoignage permit bien vite de retrouver l’exécuteur des basses œuvres qui avaient été laissé dans une taverne, ivre mort par des complices dont il ignorait jusqu'aux prénoms véritables. Il fut promptement jugé et ce pauvre garçon qui n'avait pas toute sa tête, trouva moyen de la perdre tout à fait sous la lame d'une certaine Louisette qui faisait ses premières moissons en place publique à Chartres.

Pendant quelques années encore, les complices du pauvre garçon écumèrent ainsi la Beauce, trouvant en chauffant la plante des pieds de leurs victimes moyen de leur délier la langue. Ils eurent à leur tour, les honneurs de la représentation publique en place de grève, le 4 octobre 1800. Ils furent ainsi vingt et un à connaître le sort de ce pauvre Pierre qui avait eu grand tort de leur faire confiance.

Les chauffeurs d'Orgères gagnèrent non le paradis, la chose est assez douteuse, mais la postérité en entrant dans l'histoire en même temps que leurs têtes dans le panier. Il est bien des manières de se faire une renommée, ceux-là avaient choisi la pire de toute. Quant à ce misérable Pierre le pauvre péneux, il n'avait même pas eu ce plaisir, son histoire faillit rester lettre morte si un rossignol ne me l'avait pas conté. Je vous l'offre à mon tour, tirez en les conclusions que la sagesse vous dictera.

À contre-histoire.

 

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