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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La pomme d'Or.

Naissance d'un grand destin.

 

 

Depuis 1570, il se murmure à travers le pays qu'un nouveau fruit a fait son apparition, venant de ce Monde nouveau d'outre Atlantique. Le nom de cette merveille qui enfièvre les esprits est la « Pomme d'Or ». Chacun de se mettre à rêver de faire fortune avec un nom pareil sans trop savoir de quoi il retourne. Il en va ainsi des produits qui venus de très loin, sont immédiatement parés de toutes les vertus.

La pomme d'Or devait son nom à sa couleur jaune, à sa peau brillante qui d'après les très rares personnes qui en avaient vues, méritait pleinement sa réputation et son sobriquet. La pomme de terre n'avait pas encore conquis les cœurs et les assiettes, les autres produits de ce nouveau continent tardaient à faire leur trou dans le vieux monde.

Les transports n'étaient pas aussi prompts qu'aujourd'hui. La traversée ne se faisait pas d'un battement d'ailes ou d'un claquement de doigt. Il était encore possible d'acclimater la plante au contexte européen, quelques naturalistes s'employaient à la faire dans des serres, usant de tout leur savoir pour implanter de nouvelles variétés. La Pomme d'Or était de celles qui allaient connaître le plus bel essor.

En attendant, elle était le sujet de conversation de tous ceux qui avaient eu la chance de croiser sur le quai de la fosse, des marins venant de l'autre côté. Ils évoquaient un vaste territoire où des oiseaux de toutes les couleurs parlaient comme vous et moi, où des arbres n'en finissaient pas de tutoyer le ciel, où des humains portaient des plumes sur la tête, où l'or coulait au fond des ruisseaux. Un pays de cocagne, un Eldorado comme bientôt on le surnommerait. La pomme d'Or dans un tel contexte ne pouvait que donner crédit à toutes les spéculations.

C'est le jardinier en chef du formidable jardin du vaste domaine de Châteauneuf-sur-Loire qui saisit l'opportunité qu'il avait de côtoyer des mariniers pour réclamer à qui voulait bien l'écouter, de quémander auprès d'un marin au long cours effectuant la grande traversée, de lui ramener des plans de ce fruit qu'il convoitait tant.

Quand on désire quelque chose très fort, la divine providence finit toujours par réunir les conditions improbables pour que se réalise le désir. C'est du moins ainsi que ça se passe dans les contes de fées, sinon à quoi bon se mettre à raconter des sornettes. Il reçut ce qu'il attendait et se mit en demeure de faire pousser cette merveille. L'orangerie du Château qui ne s'appelait pas encore ainsi, les agrumes ne se pressaient pas pour venir compléter sa belle collection de plantes exotiques, cette vaste serre, allait servir de réceptacle à ce trésor.

La pomme d'Or fut encore mieux gardée que le trésor de l'abbaye de Saint Benoît. Il y avait des hommes en armes devant la serre. Le jardinier et son Prince avaient la certitude de récolter des fruits en or ce qui d'ailleurs les poussa à renforcer la petite plante qui sortait de terre d'un tuteur capable de soutenir le futur fruit qui devrait peser son poids.

Ce détail fut loin d'être anodin pour ce fruit andin. D'une confusion naît parfaitement une innovation décisive dans le déroulement de la suite des opérations. Cessant soudain par la magie de cette lubie de ramper au sol, la plante se décida à pousser vers le ciel, ou plus exactement vers le plafond de sa prison. Un pas décisif venait d'être franchi sans qu'on en mesure alors les conséquences.

Quand vint le temps à la plante qui jusqu'alors rampait, de libérer son premier fruit, le jardiner s'empressa de lui offrir réceptacle digne des espoirs qu'il plaçait en lui. L'affaire s'annonçait juteuse ; il ne pensait pas si bien dire même si le bénéfice escompté ne serait pas au rendez-vous.

À bien y regarder, la pomme d'Or qui s'épanouissait ainsi à hauteur, n'avait pas la solidité du précieux métal escompté. Elle semblait plus molle, charnue certes mais pas de nature à réjouir un orfèvre. Le jardinier en conçut bien du dépit. Pour lui, après tant d'espoir et de précautions, c'était la soupe à la grimace. Il en fut si dépité que son seigneur vint le réconforter en lui déclarant qu'il n'y avait pas de quoi en faire des salades. Le cuisinier de la maison retint les deux expressions et se mit en demeure d'explorer les deux pistes. Il s'en trouva fort bien car à la fois fruit et légume la Pomme d'Or se pliait volontiers à ces deux manières de la préparer.

Emporter par son enthousiasme et sa volonté d'explorer tous les possibles, lui qui avait la tête farcie d'idées toutes plus originales les unes que les autres, il tenta de la fourrer de chair à saucisse et de la glisser dans un four. Un nouveau résultat des plus convaincants. Il s'appropria les quelques plants qui poussaient là et en fit son affaire tandis que le jardinier boudait dans son coin.

Quand la pomme d'Or cesse de donner sa pleine mesure, le jardinier, toujours bougon voulut arracher cette plante qui ne méritait nullement son nom. Fort heureusement, le cuisinier eut vent de son projet et vint à temps pour s'interposer. Il restait sur un pied une vieille pomme d'Or toute ridée et certainement pourrie. Il l'attrapa et la jeta à la face de ce vilain mauvais joueur.

En l'espace d'une récolte, le cuisiner avait déjà trouvé quatre façons d'utiliser la pomme d'Or. Il en rougit de plaisir. Il venait ainsi de tracer la voie future à ce qui allait devenir la tomate. L'histoire n'est certes pas authentifiée par le conservatoire national de cette plante qui, installé à Montlouis, ne pouvait que mettre en doute, ce qui vient de plus loin sur la Loire. Les gens sont jaloux…

À contre-nature.

 

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