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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

De la branche au miroir

De la branche au miroir

Au chant de l'alouette

 

 

 

 

L'alouette peut se vanter d'être l'ortolan des miséreux. Si elle fait beaucoup parler à propos de son chant qu'elle aime à répéter devant un miroir, elle n'en fait cependant pas tout un pataquès. Elle a bien d'autres soucis en tête tant elle a subi une réduction drastique de ses effectifs. La pauvrette finissant par être ramassée dans un panier à salade bleu, une alouette justement de la gendarmerie nationale. Confusion qui causa sa perte, le poulet se multiplia tandis que ce gentil petit oiseau nicheur finit en pâté en croûte.

 

Tout ceci mérite explication pourvu que vous ne montiez pas sur vos grands chevaux. En effet le fameux pâté d'alouette qui officiellement ne fait plus partie de la gastronomie nationale à moins qu'un Président en exercice se prenne l'envie de profiter de ce plat, puise ses origines légendaires dans l'égarement d'un roi dans la plaine de Beauce. Voilà déjà un exploit peu banal que de se perdre dans un tel paysage et ceci se passa à Nibelle.

 

Le Bon Charles IX que la postérité a mis de côté, allait courir le guilledou en pleine guerre de religion. Marie Touchet a conquis le cœur du roi. L’Orléanaise est gaie, jolie, plantureuse et, comme elle ne manque pas d’esprit, sa conversation est des plus agréables, elle pousse même son amant à faire la paix avec ses ennemis au grand dam de Catherine de Médicis, une mère envahissante.

 

Nous étions en 1568, les temps n'étaient guère à folâtrer sauf pour les têtes couronnées qui se sont toujours désintéressées des soucis des gueux. Or donc notre lascar royal, la tête ailleurs à moins qu'il n'ait un petit coup dans l'aile, se perdit en allant au château du Hallier pour tomber sur ceux qui justement n'étaient pas ses alliés. Il y a de quoi y perdre l'esprit et plus certainement l'appétit.

 

Les parpaillots, bons bougres, firent fi des dissensions qui existaient entre ceux de leur confession et ce monarque éphémère qui laissa son nom dans l'histoire avec un bain de sang et la présente recette avant que son règne ne tourne en eau de boudin. Les protestants attestèrent de leur bonne foi en offrant à leur souverain les restes d'un pâté en croûte qui eut l'heur de satisfaire le palais royal.

 

Celui-ci, dans une mansuétude qui l'honore, ne tailla pas en pièce ceux qui l'avaient ainsi sustenté. Bien au contraire, il s'enquit du nom du pâtissier qui avait réalisé cette merveille, un certain Provenchère ou Margeollet, les versions diffèrent pour le nommer alouettier du roi, une belle promotion pour un homme traqué qui partageait la vie des charbonniers de notre forêt des Loges. Le plat devint le pâté des mauviettes, une allusion sans doute ironique à ce Roi qui se targue d'écrire des poèmes.

 

La recette évoquait alors une alouette et un cheval. La disproportion est grande entre ses deux ingrédients. Le pâté aurait donc dû se nommer autrement pour qui est à cheval sur les rapports de force. C'est pourquoi le gentil petit oiseau au chant si mélodieux connut une célébrité dont il se serait bien passé. L'hécatombe dans ses rangs date sans doute de cette recette qui dépluma le cheptel beauceron.

 

Si vous voulez en savoir plus, laissons la place aux détails techniques : une fois plumées, les alouettes (dites alors “mauviettes”) sont désossées et mises à mariner une nuit entière avec du porto, du thym et du laurier. Le lendemain, leurs abats (cœurs, gésiers, intestins, foies) sont revenus à la poêle (parfois flambés à l’alcool) avec du lard et des échalotes hachées. Un tiers de la farce fine obtenue servira à remplir les alouettes, avec du foie gras truffé. Les volatiles farcis seront rangés sur une abaisse de pâte feuilletée et recouverts du reste de farce, surmontée éventuellement de quelques lamelles de truffes. Une seconde abaisse viendra se souder à la première. Une cheminée sera ménagée au centre de la tourte. Après une dorure à l’œuf, la tourte sera enfournée une heure et demie à température moyenne. Au sortir du four, du fumet de volaille sera coulé par la cheminée.

 

Notez que le cheval a disparu de la recette, préférant sans doute tourner casaque pour ne pas offusquer les cavaliers. Seul l'oiseau resta en ligne de mire des gastronomes et sa chasse se fit alors par un curieux subterfuge : le miroir aux alouettes. Le piège en question était un leurre visuel qu'utilisaient autrefois les chasseurs pour attirer les oiseaux. Composé de morceaux de bois garnis de miroirs, ce piège, lorsqu'il était agité, provoquait des reflets brillants qui attiraient leurs proies. Les chasseurs n'avaient plus alors qu'à capturer au filet ou à abattre au fusil.

 

Tout ceci relève naturellement d'un autre temps. Les alouettes se font rares, leur chant ne nous enchante plus. Heureusement il nous reste la poésie et la chanson pour célébrer ce bel animal. Laissons donc Pierre de Ronsard nous en régaler d'une manière qui ne fera pas de mal à l'oiseau.

 

 À contre-champ

Ode à l'alouette

 


T’oserait bien quelque Poète
Nier des vers, douce alouette ?
Quant à moi, je ne l’oserois :
Je veux célébrer ton ramage
Sur tous oiseaux qui sont en cage,
Et sur tous ceux qui sont ès bois.

Qu’il te fait bon ouïr, à l’heure
Que le bouvier les champs labeure,
Quand la terre le Printemps sent,
Qui plus de ta chanson est gaie
Que courroucée de la plaie
Du soc, qui l’estomac lui fend !

Sitôt que tu es arrosée,
Au point du jour, de la rosée,
Tu fais en l’air mille discours ;
En l’air des ailes tu frétilles,
Et pendue au ciel tu babilles
Et contes aux vents tes amours.

Puis du ciel tu te laisses fondre
Dans un sillon vert, soit pour pondre,
Soit pour éclore, ou pour couver,
Soit pour apporter la béchée
À tes petits, ou d’une achée,
Ou d’une chenille, ou d’un ver.

Lors, moi couché dessus l’herbette
D’une part j’ois ta chansonnette,
De l’autre, sus du poliot,
À l’abri de quelque fougère,
J’écoute la jeune bergère
Qui dégoise son lerelot.

Lors, je dis : « Tu es bien heureuse,
Gentille alouette amoureuse,
Qui n’as peur ni souci de riens,
Qui jamais au cœur n’as sentie
Les dédains d’une fière amie,
Ni le soin d’amasser des biens ;

« Ou si quelque souci te touche,
C’est, lorsque le soleil se couche,
De dormir, et de réveiller
De tes chansons avec l’Aurore
Et bergers et passants encore,
Pour les envoyer travailler.

« Mais je vis toujours en tristesse
Pour les fiertés d’une maîtresse
Qui paye ma foi de travaux
Et d’une plaisante mensonge,
Mensonge qui toujours allonge
La longue trame de mes maux. »

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