13 Mai 2022
Ce que l'histoire de France doit à l'orfèvrerie.
Le bon Clovis n'en finit pas de titiller l'imagination des faiseurs d'histoires. Est-ce son baptême qui en fit du pain béni pour les hagiographes de tous poils ? C'est tout à fait possible d'autant plus que pour asseoir son baptême sur le trône d'un pays à bâtir, il ne lésina pas sur les miracles en participant grandement à la légende dorée par le truchement d'une flopée d'évêques et de moines tous promis à la postérité.
Comme on ne prête qu'aux riches, gardons-nous de lui reprocher quoique ce soit ni même de remettre en cause les sornettes qu'il a semé tout au long de son règne. On pourrait y perdre la tête, l'homme étant sujet à de violents accès de colère. C'est d'ailleurs ainsi qu'il fit son entrée dans la grande histoire, par un vase sacré qui n'avait rien du saint Graal.
Je ne vous ferai pas l'injure de reprendre ici le récit que fit Grégoire de Tours de l'épisode du vase de Soissons. Il relève désormais de la grande épopée qui servit de ciment supposé à une nation en devenir. Particulièrement prolixe en aventures « sauroctonesques », le bon roi des francs, tout barbare qu'il était, aimait à vivre dans le luxe et ne négligea pas les histoires d'orfèvrerie.
Conscient du succès sans égal de son vase et d'une vengeance qu'il avait pris soin de manger froide, il but le calice jusqu'à la lie avec un autre récipient tout pareillement incrusté de pierres précieuses et doré sur tranche. Cette fois la coupe en cristal était pleine de vin et Clovis entendait trinquer avec l'évêque de Poitiers et l'abbé Fridolin, tous deux venus en Orléans pour le concile de 511 qui allait établir l'union de l'église et de l'état.
L'occasion était belle et faisait les larrons qui décidèrent de trinquer en ce magnifique mariage de raison. Hélas, si pour un roi ou un évêque, la belle vaisselle ne trouble pas l'esprit, les grands de ce monde, que ce fut hier ou bien encore aujourd'hui, ne se troublent pas pour pareil privilège. Par contre, le brave abbé, devant la magnificence de la coupe à moins que ce ne soit d'abus de boisson, eut la main qui tremble tant et si bien qu'il brisa la coupe précieuse.
Se souvenant du sort que Clovis avait réservé au soldat briseur de vase, le pauvre maladroit se vit dans l'instant perdre la tête lui aussi. Il ne pensait pas si bien dire car le roi fut fort courroucé de ce nouveau bris de vaisselle qui allait singulièrement augmenter sa police d'assurance. Ramassant les débris de la coupe brisée, il les étala devant l'indélicat ecclésiastique en le priant d'interférer le grand créateur afin qu'il recolle les morceaux.
Dieu en ce temps lointain n'était pas encore débordé de demandes. Il intercéda sans se faire prier, ce qui, avouons-le est assez rare chez ce haut pensionnaire de l'Olympe. Le vase devant les yeux incrédules des trois témoins oculaires dignes de foi, se reconstitua dans l'instant. Grégoire de Tours, quoique grand amateur de vin de Loire, ne précise pas si la coupe contenait encore son précieux liquide. C'est fort dommage pour la compréhension de l'histoire.
Clovis s'en alla donc de fort bonne humeur présider son concile et Fridolin accéda à la béatitude pour son rôle décisif dans la grande histoire de France. Celui qui sut ainsi recoller les morceaux, devint le Saint Patron des couples et surtout le producteur de la célèbre série télévisée : « Scènes de ménage ».
Originaire d'Irlande, né dans une famille riche, notre bon saint s'en vint en Bourgogne s'initier au vin de messe. Grâce à Clovis, après la fameuse histoire que je viens de vous narrer, il fit reconstruire la basilique de Saint Hilaire à Poitiers, puis évangélisa la Lorraine, la Suisse et l'Alsace. Il se retire enfin à Säckingen sur le Rhin, brisé certes mais heureux de son parcours sur Terre, dans un monastère qu'il avait fondé. Il meurt en 540 en odeur de sainteté. Orléans lui consentit une rue en buvant une partie de son patronyme : la rue Saint Flou. Est-ce à lui qu'on dira le sobriquet donné aux soldats allemands ? (D'autres affirment non sans humour que ce surnom vient de « Friede » Paix)
À contre-sens.