Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
10 Mars 2022
Conversations roboratives dans un salon du livre
Quelques auteurs en mal de lecteurs, faisaient le pied de grue dans un salon qui faute de mieux, devint pour eux une salle à manger. La littérature, pour peu qu'elle soit locale, régionale ou anonyme ne permet pas de nourrir son scripteur, les malheureux pour ne pas succomber à la dépression se mirent en devoir de remplacer la plume par un plateau repas, un contenant plus roboratif que leurs modestes ouvrages.
Ignorant tout de l'usage de la chose, se posa immédiatement la question du comment. Non pas que nos doctes écrivains ne sachent pas déterminer ce qui se mange de ce qui permet de satisfaire à ce besoin aussi essentiel qu'élémentaire, mais le couvercle en plastique transparent se heurtait aux piles d'ouvrages abandonnés là sur les tables.
Que faire de ce supplément d'encombrement puisque l'essentiel soudain est dans ce repas qui leur tend les bras ? Les moins malins tentent de retourner le couvercle pour y inclure logique ce réceptacle sans le moindre intérêt gustatif. L'expérience se heurte à l'évidence, il y a là deux picots proéminents qui rendent ce vice versa impossible.
Se fracassant devant l'évidence, ceux-là renoncent à user plus avant d’une sagacité qui devrait logiquement revenir à des individus qui ont vocation à aligner les phrases. D'autres, sans doute, plus inventif, astucieux ou muni d'un esprit pratique, songent qu'il y a là astuce qui ne peut échapper à des prosateurs. C'est fort logiquement du reste, un historien, qui, de par sa longue fréquentation des archives, trouve le secret d'un classement idoine.
Le couvercle retourné, dispose de deux encoches, qui à y regarder de plus près, servent de cales, non pour boucher un petit creux, mais essentiellement pour éviter que les mets prennent le large par une escapade inopportune. Autre avantage de cette élévation, la nourriture se rapproche ainsi d'une bouche qui jusqu'alors était resté sur sa faim.
Devant une découverte tenant de la révélation, les collègues de cet auteur admirable s'empressent, comme ils en ont souvent l'habitude, de copier ou plus exactement de dupliquer cette fabuleuse découverte. Le repas prend ainsi une toute autre dimension, abandonnant le plancher des vaches pour s'élever dans les autres sphères de la pensée technologique.
Humilié de n'avoir pas découvert ce qui désormais relève de l'évidence, votre serviteur propose à l'assemblée, d'écrire sur le champ, un texte pour narrer ce fabuleux épisode qui à lui seul, constitue le point d'orgue de ce salon du livre. Sa proposition fait chou blanc, ce qui avouons-le n'a rien d'extraordinaire, puisque le plateau se contente d'une salade de riz.
N'envisageant pas de dérouler par le menu le contenu de ce réceptacle surélevé, le malheureux auteur en mal d'inspiration, ronge son frein et avale son chapeau jusqu'à, en désespoir de cause, en vomir ce billet dans l'indifférence de ses pairs. L'écriture ne peut se satisfaire d'un sujet aussi prosaïque, à ne point vouloir l'admettre, l'écriveur se torture les méninges en vain.
Le plateau vidé, le récit n'a plus qu'à suivre le sort de tout ce plastique qui va apporter sa pierre au vaste gaspillage dont nous nous rendons complice. Si ceci me reste sur l'estomac, ce n'est certes pas une raison pour en imposer une lecture indigeste, à de braves gens qui se demandent encore où je veux en venir.
Je vous dois de vous donner le fin mot de l'histoire par honnêteté. Faute de me sentir bien dans mon assiette et dans l'impossibilité de mettre les pieds dans le plat, la seule chute acceptable qui s'offre à moi s'achève dans une déchetterie, une décharge ou bien une canche, selon les vocables en usage dans la région.
À contre- emploi.