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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Au fond du trou

De la solidarité dans ce bas-monde.

 

 

 

 

Il était une fois un brave marinier n'ayant jamais cherché noise autour de lui qui par étourderie ou malchance a connu un malencontreux désagrément. Alors qu’il était en plein déchargement sur un quai étroit et fort pentu, qu’il roulait des tonneaux sur une cale abrupte tout contre un escalier de pierre muni d’une échelle de crues, pour une raison incompréhensible, l’homme fit un grand écart.

C'est ainsi que son geste maladroit le fit choir dans une crevasse qu’une coulée de terrain avait provoquée là. Gaston était là, au fond d’un trou assez profond pour s'être tordu méchamment la cheville sans qu'il soit pour autant dissimulé aux regards de tous. Il geignait comme un pauvre bougre qui pensait avoir un membre cassé.

Le voiturier, son compagnon et néanmoins patron fut le premier à venir à sa rencontre. L’homme était de méchante humeur. Il est vrai que la chute du pauvre matelot avait entraîné la perte d’un muid de vinaigre. L'homme devrait rendre compte auprès du marchand de ce dommage qu'il paierait de sa bourse. Il s’adressa vertement à Gaston, le tança pour sa maladresse et lui affirma que le prix de la marchandise perdue serait retiré de ses gages. Puis, courroucé, l’avisé patron laissa le blessé à ses lamentations et partit pour la taverne voisine oublier son tracas dans les chopines avec une agréable assemblée.

Un garde champêtre prit son relais. Le fonctionnaire vint faire remarquer à notre ami Gaston qu’une pancarte mettait en garde les passants contre l’instabilité du terrain en ce lieu. Il avait donc agi bien à la légère en poussant un tonneau en cet endroit. Il ne devait s’en prendre qu’à lui-même, serrer les mâchoires et cesser d’importuner par ses plaintes tous ceux qui, prudemment, passaient à distance de là en évitant ce piège, sournoisement mis en travers de son chemin par la dernière pluie d'orage. Puis l’homme, faisant preuve de la mansuétude qui sied à sa corporation, partit sans établir de procès-verbal.

Une commère descendit prudemment les marches, elle allait laver du linge dans la rivière avec sa caisse à savon, sa selle et son battoir. La dame, la langue bien pendue comme il se doit dans sa corporation, lui tint un petit moment le crachoir n'ayant pas pour l'heure de collègues pour se distraire.  Elle lui fit un petit brin de causette ; ajoutant à sa peine en lui cassant par-dessus le marché les oreilles.

« Vous voilà bien dans de beaux draps mon brave homme. Vous avez dû vous faire grand mal en tombant dans ce trou béant. Le plus grave encore c’est l’état de votre pantalon et de votre chemise. Vous êtes maculé de boue et de sang. Votre femme aura bien du mal à récurer tout ça et je gage que vous ne prendrez même pas la peine de mettre à tremper vos vêtements pour lui faciliter la tâche ! Vous êtes bien tous les mêmes ... » Sur ces propos peu amènes, la laveuse voyant arriver ses collègues, le salua et poursuivit sa route pour laver du linge sale qui n’était pas celui de sa famille.

C’est alors qu’une troupe de chenapans se présenta à lui. Les écoliers rentraient de la communale. Ils avaient l’humeur badine de ceux qui en ont terminé avec ce qu'ils considèrent comme une corvée et s’apprêtent à profiter de l’aubaine pour quelques mauvais tours à leur manière. Le plus déluré des drôles déclara à la cantonade, que l’air sentait le vinaigre et qu’il convenait de rincer à grande eau l’endroit. Sitôt dit, sitôt fait, un suiveur alla remplir un saut dans la Loire voisine et le jeta sur la tête du pauvre Gaston. Les gredins, futurs pisse-vinaigres et aigrefins, s’enfuirent, riant aux éclats de ce vilain tour ; laissant là un pauvre bonhomme qui l'avait fort amer.

Une grenouille de bénitier, une bigote d'âge avancée, candidate prochaine au Paradis des fidèles, sortant de la messe des vêpres passa par là. Elle était encore confite en dévotion, jouant du chapelet pour égrainer de nouvelles prières quand elle entendit les plaintes du blessé. Elle s’approcha de son piège et lui tint ce langage : « Je vous reconnais mauvais diable. C’est vous qui tout à l’heure blasphémiez à qui mieux mieux, redoublant de jurons et de grossièretés tandis que vous déchargiez le chaland. Le bon dieu vous a puni et je ne peux que l’en féliciter. Mais rassurez-vous, je suis bonne chrétienne, exceptionnellement j'irai à complies pour vous. Je ne manquerai pas de prier pour votre guérison. Et la vieille de poursuivre son chemin, toujours psalmodiant des litanies sans fin.

Bien plus tard, un pêcheur rentrant chez lui après que le soleil se fut couché passa non loin de Gaston qui était toujours là, à geindre au fond de son trou. L’homme avait fait belles prises et se dépêchait vers sa masure pour préparer sa friture. Il s’arrêta non loin du blessé pour lui faire remarquer que la nuit allait bientôt tomber et qu’il convenait de ne pas rester là. Puis, reprenant tout son attirail, le pêcheur reprit son chemin, pressé de montrer sa belle friture à son épouse.

Gaston était là à se demander s’il n’allait pas passer la nuit en souffrance et en frissons, désolé du comportement de tous ces gens aveugles à sa détresse, quand Archimède, un vagabond, un pauvre hère qui passait par là, s’approcha de la béance d’où sortaient des lamentations. Il ne demanda rien à Gaston, ni son nom ni même ce qui pouvait expliquer sa présence au fond de ce trou. L’homme en guenilles lui tendit la main, lui sourit et le tira de là. Puis, entendant ses gémissements et voyant l’angle que faisait sa jambe, il le chargea sur son dos pour le porter jusqu’au presbytère. Il toqua à la porte du curé qui ouvrit à ces deux-là.

Le berger des âmes soigna tant bien que mal le marinier et donna un repas au vagabond après que tous deux lui eurent raconter l’histoire. Le récit de Gaston provoqua la colère du curé qui félicita Archimède le clochard qui avait été le seul à agir en bon samaritain. Au petit matin, le vagabond était parti discrètement sans demander son reste. Le dimanche suivant, en chaire, son prêche tonna bien fort avant que de retomber sur des fidèles qui avaient tout oublié de la charité chrétienne.

Gaston se remit fort heureusement de ce mauvais pas mais en garda toujours un léger boitement. Il changea de patron et prit l’habitude dans les tavernes où il s’arrêtait, de laisser désormais à l’aubergiste un sou pour qu’il offre à boire au premier chemineux qui passerait. Qui sait si l’homme qui l’avait tiré de son ornière serait celui-là. Quant à Archimède, il poursuivit un chemin sur lequel on ne lui faisait pas toujours bon accueil. Qu'importe, là où il passait, il allait la conscience tranquille de celui qui agit comme il se doit, en dépit du mépris dont il hérite souvent.

À contre-emploi.

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