Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L'oie de Foix

Chemin de choix.

 

 

 

 

Chemin de choix.

 

 

Il était une oie domestique qui croyait vivre des jours heureux dans une ferme de Dordogne. Elle se savait aimée, c'est du moins ce qu'elle croyait parce que les humains la couvaient d'un regard complaisant et qu'ils se montraient particulièrement attentifs à bien la nourrir. Elle avait même constaté qu'elle disposait d'un régime de faveur, contrairement à ses voisines les poulettes qui souvent la regardaient casser la graine en se serrant la ceinture.

 

Il est évident que ceci cachait des intentions inavouables. L'oie se mit en quête d'en avoir le cœur net, ce qui justement n'était plus son cas. Elle souffrait de nausées et de lourdeurs d'estomac, avait quelques flatulences et s'inquiétait grandement de la couleur de ses excréments qui prenaient une curieuse teinte qu'elle ne savait comment qualifier.

 

Le coq de cette basse-cour qui avait de la bouteille et des années d'expérience ne voulut pas la laisser dans l'ignorance. Il en avait vu défiler des oies qui arrivaient fièrement, marchant d'un pas curieux vers un destin qui petit à petit les rendait impotentes et maladives. Il se prit, à défaut d'affection pour cette oie avec laquelle les prises de bec étaient fréquentes, d'une certaine forme de sympathie, sentiment rare entre ces deux espèces.

 

 

Un jour le coq montant sur ses ergots, s'adressa à l'oie qui avait depuis quelques jours, le teint jaune et la démarche pesante : « Toi ma cocotte, tu nous fais une crise de foie et tu en ignores la raison. Comme tu m'es fort sympathique, j'ai bien envie de me mettre à table afin de te dévoiler le secret qu'on te cache ici. »

 

L'oie cessa sur le champ de caqueter pour prêter l'oreille à ce coq qui ne parlait jamais en vain. Elle se sentait mal depuis quelques jours, elle voyait bien que sa santé déclinait de jour en jour alors que curieusement, jamais elle n'avait été aussi bien nourrie. Elle en avait gros sur le cœur ou un peu plus bas, elle n'avait qu'une connaissance restreinte de son anatomie.

 

Le coq lui expliqua donc que les fermiers étaient passés dans la dernière phase d'un processus qui cherchait à provoquer en elle, une curieuse maladie qu'on nomme cirrhose. Toutes les manifestations qu'elle avait constatées, attestaient que le processus était engagé et qu'il ne tarderait pas à arriver à son terme. L'oie, très attentive, voulut prendre des notes pour retenir ce mot compliqué qui lui restait en travers de la gorge.

 

 

 

Elle s'arracha une plume, la trempa dans une fiente pour écrire et noter cette curieuse maladie. Elle demanda au coq qu'il veuille bien lui épeler la chose. Celui-ci s'il avait de la culture, manquait singulièrement de connaissance orthographique : « s-i-x, plus loin, r-o-s-e-s ». La demoiselle ballonnée fut étonnée qu'il fut ici question de fleur et particulièrement de celle-ci alors que ses flatulences étaient loin d'avoir le même parfum.

 

Le coq leva les yeux au ciel, il se rendit compte qu'il était l'heure pour lui de remplir sa mission, abandonnant l'oie à ses interrogations, il monta sur son promontoire pour sonner le rassemblement. L'oie eut à ce moment-là, une intuition qui lui sauva sans doute la vie. Elle se dit qu'il fallait rompre avec cet environnement qui lui était devenu hostile. Les dés étaient jetés, elle prit les jambes à son cou et tournant le dos à la cohorte volaillère, refusa de regagner ses pénates.

 

Elle prit le chemin de l'exil, cherchant une destination plus au sud, loin de ce département qui est pourtant si réputé dans l'élevage de ses semblables. Elle passa la nuit dans un bosquet, tentant ainsi d'échapper aux fouines, renards et autres prédateurs qui tous comme les humains, aimaient à se gaver d'oie.

 

Au petit matin, la fugueuse entendit des chants et des cris, les piaillements qui n'étaient pas ceux qui jusqu'alors constituaient son quotidien. Elle était juste à côté de la cour de l'école communale. C'est ainsi qu'elle entendit une petite fille chanter une étrange comptine :

 

Il était une fois,
Une marchande de foie,
Qui vendait du foie,
Dans la ville de Foix...
Elle se dit ma foi,
C'est la première fois
Et la dernière fois,
Que je vends du foie,
Dans la ville de Foix

 

L'oie se dit que c'était là sa chance, une ville où l'on renonçait à vendre du foie, qu'il fut maigre ou bien gras, ne pouvait être que le lieu idéal pour elle. Elle se mit en marche sans tarder, demanda de temps à autre son chemin à quelque oiseau de passage.


 

Plus elle marchait, plus elle se nourrissait simplement de l'air du temps et non plus de ce maïs qu'on lui enfournait de force dans le gosier, mieux elle se portait. Elle fit là une cure d'amaigrissement si salutaire qu'elle finit par sentir des fourmillements dans ses ailes : un miracle assez curieux puisque Lourdes et Foix s'ils sont sur la même latitude sont néanmoins distants de près de 170 km.

 

C'est donc au cours de cette lente procession qu'elle retrouva l'usage de ses ailes. Elle cessa de se traîner lamentablement au ras du sol, prit son envol et disparut dans le ciel. Est-elle arrivée à destination ? A-t-elle croisé le chemin d'un enfant malheureux qui voulait aller plus loin ? L'a-t-elle pris sur son dos ? Nul ne pourra l'affirmer avec certitude. Notre oie vole désormais de ses propres ailes et n'a nulle envie d'écrire une histoire tirée par les plumes. Loin des humains, elle suit son destin pour se rendre à Foix ou bien plus loin encore. Elle ne se pose jamais à proximité d'un puits, allez donc savoir pourquoi.

 

À contre-emploi.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article