Confidences d'un dessous de plat.

Lui seul met les pieds sur la table.

Cela ne vous fera sans doute ni chaud ni froid, nous savons désormais combien grande est l'indifférence des gens à l'égard des petits drames du quotidien, pourtant avant l'ultime réveillon avant que ne reviennent les restrictions de toutes natures, je me dois de porter à votre connaissance les affres d'un dessous de plat.

Lui qui trône sur la table simplement pour faire briller le plat chaud n'a jamais droit à vos égards ni même à vos exclamations admiratives. Pourtant, rien ne serait possible sans lui. La belle nappe en tissu risquerait de vivre ses derniers instants à moins que la toile cirée se liquéfie par l'effet de la chaleur.

Lui reste stoïque, supporte à la fois le choc thermique et votre profond dédain. Nul regard alors qu'il a lui aussi belle allure. Nulle décoration pour celui qui agit dans l'ombre. Il est en première ligne, une sorte de premier de dîner qui jamais ne sera applaudi à la fin du repas. Le maître queux aura peut-être des éloges, la maîtresse de maison des remerciements, mais lui, rien du tout.

Il a le moral dans les chaussettes, il se pourrait même qu'il soit au trente sixième dessous même s'il doit se satisfaire du premier entresol. Il sert de couverture, joue les seconds rôles dans une représentation où il ne joue pas même le rôle du souffleur. Cette fonction est dévolue au chauffe-plat chez les adeptes des appareils électriques qui viennent comme souvent grever la facture et notre dette énergétique.

Lui supporte, c'est même sa fonction première. Il se dissimule sous le poids de sa responsabilité sans plier ni rompre. Il est le garant de la réussite de la soirée, assure par sa stabilité que nul incident, nul renversement ne viennent transformer la fête en drame et en méfait d'hiver. Il se contient d'exprimer sa rage et son désespoir. Il aimerait un peu de considération, un petit chemin de table qui conduise jusqu'à lui, en pleine lumière. Mais ceci n'est qu'un rêve illusoire, les subalternes dans ce monde, sont toujours les oubliés de la farce.

Il se demande parfois comment se faire remarquer. La tâche est ardue car, dans les bonnes maisons, avant l'arrivée du plat principal, il a fallu faire table rase pour les amuse-gueules et les apéritifs. Rien que des prétentieux qui tirent la couverture à eux, font de l’esbroufe, du tape à l'œil tout en exigeant qu'il se retire de l'estrade. Souvent, du reste, la scène se déroule sur une autre estrade, dans le salon, sur une table basse qui n'a pas besoin de bouclier thermique.

Quand son heure a sonné, il a tout juste le temps de pointer le bout de son nez que déjà une cocotte joue les vedettes du service à moins qu'un plat ne vienne faire du gringue à tous les convives. Lui se retrouve au second plan, écrasé par la suffisance du rôle principal de la représentation culinaire. Il ronge son frein, feint de collaborer de bonne grâce à cette mascarade.

Mais tendez donc l'oreille, prêtez-lui un tant soit peu votre attention. Vous l'entendrez geindre et se lamenter. Tout dessous de plat qu'il est, il aimerait de temps à autre figurer sur la première marche, en pleine lumière. Je ne sais si cette requête est réaliste. Je me devais de vous en faire part car elle émane d'un dessous de plat qui m'a confié son désarroi.

Le voyant ainsi la mine défaite et le moral au plus bas, je me suis fait le porte-parole de ce grand oublié du réveillon. Si vous avez un peu d'empathie pour les objets du quotidien, ayez donc au moins un regard bienveillant pour celui sans qui la dinde aux marrons ou le chapon farci devraient rester dans la cuisine.

Le service à l'assiette est la plus redoutable manière d'ignorer cette demande légitime. Essayez donc de ne pas en arriver à cette extrémité ultime. Mon dessous de plat vous en conjure.

À contre-pied.