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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Qu'ils sont trognons.

Un canard et une oie

 

 

Un canard et une oie coulaient des jours heureux en leur rivière. La chose est étonnante pour qui sait que ces deux-là ne risquent pas de sombrer à moins de croiser un chasseur ; c'est du reste l'ouverture du gibier à poil. Mais de ceci, ils n'avaient cure, habitués qu'ils étaient aux rives citadines, là où le plomb est plus dans l'air que dans les cartouches.

L'oie avait un temps cherché un jars mais la dame qui n'était pas cruche désirait que son compagnon ait de la contenance et un peu de bouteille. C'est un colvert qui eut sa préférence pour le plus grand dépit de ses compagnons mâles, restés le bec dans l'eau. Les unions mixtes font toujours débat, celle-ci fit d'autant plus couler beaucoup d'encre que la dame écrivait encore à la plume.

Ceci cependant ne doit pas nous écarter de notre propos qui ne se soucie guère du quand dira-t-on. Caqueter n'est donc pas l'apanage de nos grenouilles de bénitier ni l'héritage lointain des laveuses de nos rives. Les mauvaises langues n'ont ni frontières ni genre, chacun peut y aller de sa médisance, surtout au bord d'une rivière prompte à se laisser corrompre par la rumeur.

Le canard, fort d'une réputation usurpée, avait conquis l'oie par son chant mélodieux. Tout n'est qu'appréciation subjective, pour la dame, son nasillement avait su la charmer. Elle tomba sous le charme de celui qui savait se parer de fort belles couleurs. Elle céda à ses avances, damant le pion à une ribambelle de canes, aussi dépitées que contrariées.

L'oie quant à elle, eut mauvaise presse parmi les mâles de son entourage. Les plus virulents des jars restés en carafe criaillèrent de mécontentent, se promettant de voler dans les plumes de ce maudit canard. Le temps pourtant apaisa rancœurs et griefs, le couple fut rapidement toléré. Les oiseaux sachant plus que les humains, mettre de l'eau dans leur bain.

C'est alors que surgit l'épineux problème des repas à prendre en commun. Les deux amoureux ne disposaient pas du même régime alimentaire. L'oie végétarienne voulut contraindre son compagnon à plus de tempérance, lui demandant de renoncer aux insectes et aux invertébrés. Il consentit à ce sacrifice par amour, se pliant ainsi à une tendance qui se trouve également chez les humains.

Quant aux choses du sexe, canards et jars ont un point commun dont les femelles aimeraient bien se passer. Nos lascars ont un sexe suffisamment long pour se livrer à l'accouplement sans même le consentement de leurs malheureuses cibles. Fort heureusement, pour notre couple, l'union était aussi parfaite que l'accord. Ils eurent donc des petits, des mulards, animaux fort rustiques qui ont la capacité de produire un foie gras remarquable.

Si les mulards ont besoin de maïs pour connaître les affres de la cirrhose du foie, cette maladie provoquée par les humains pour obtenir cet onctueux pâté gras, les rejetons de notre oie et son gentil canard ne purent casser la graine et jouer à la poupée. Ils eurent comme leurs parents à subir la folie des humains, animaux élevés loin des lois de la nature, prompts à transgresser les codes ancestraux pour leur bon plaisir.

C'est ainsi que la famille cessa de travailler quotidiennement pour assurer sa subsistance. Étant la coqueluche de quelques oisifs de la cité, ils furent pris en charge par des gens qui avaient décidé de les faire vivre d'amour et de pain sec. Chaque jour, pas moins d'une dizaine d'individus pensant bien faire, venaient leur donner la béquée avec de vieux croûtons.

Voir ainsi la troupe se disputer le bout de quignon, laisser des cris perçants, battre de l'aile et donner des coups de becs avait de quoi réjouir le quidam en goguette. Mais à bouleverser ainsi l'ordre naturel, l'oie, son canard et ses mulards cessèrent de manger de l'herbe. Ils modifièrent tant leur régime alimentaire que bientôt, ils devinrent totalement dépendants de leurs fournisseurs.

Ils devinrent pitoyables, se prosternant devant tous les humains pour réclamer une bouchée de pain. C'est certain que les gamins, heureux d'un tel spectacle, disaient d'eux : « Comme ils sont trognons ! ». Au bout du compte, le prix de leur aliénation était terrible : ils ne pouvaient survivre sans leurs tourmenteurs.

Les jours de pluie ou de grand froid, les généreux donateurs préféraient rester chez eux. La famille devait faire maigre en attendant des jours meilleurs. Il eut été préférable pour eux de s'en tenir aux préceptes de l'espèce. Mais comment résister à la tentation quand cela amuse les enfants et distrait les plus grands ? D'autant que chez les humains eux-mêmes, les plus sages ne parviennent jamais à faire entendre raison à leurs homologues qui pensent bien faire.

Canard, oie et marmots courent désormais le cacheton, cumulant les facéties pour quelques miettes de pain. Ça ne fait plus rire personne maintenant que les enfants sont grands même s'il est désormais trop tard pour inverser le cours des choses. Ils font les pitres pour quelques croûtons, prennent des allures comiques pour une bouchée de pain. Du pain et des jeux, ça vaut aussi pour eux et tout ça, c'est de votre faute, vous les humains.

Pédagogiquement vôtre.

 

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