Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
12 Avril 2021
Un mauvais conte
Il était une fois un arpenteur des levées une plume à la main, un oiseau écriveur, un lointain cousin par la cuisse gauche du bouffon du roi : le sieur Tréboulet, qui se fit un devoir de narrer la Loire, d'en faire son théâtre imaginaire, sa grande épopée immobile. Il la parcourut de long en large, y collecta des légendes, des récits, en constitua la source permanente de ses Bonimenteries. Chaque petit écrit, bien difficile il est vrai à ranger dans l'une des cases qui rassurent les bibliothécaires : contes, fables, nouvelles, fantaisies … fut soigneusement roulé dans une bouteille hermétique qu'il jeta à la rivière …
Il y eut bien de par ce vaste univers ligérien quelques amateurs éclairés pour récupérer le message afin de s'en délecter. Il est permis de considérer que ce furent là tous gens de mauvais goût puisque les princes et les prévôts, les échevins et les voituriers, les lettrés et les doctes dans leur grande majorité, ne prirent jamais la peine de considérer les élucubrations de ce manant, gueux indécrottable à la parole trop piquante pour eux.
Devant tant d'indifférence, il pensa à regrouper toutes ses aventures picaresques, drôlatiques ou impertinentes dans un recueil qui constituerait une sorte de guide du Val d'Orléans : une compilation chronologique de ce qui fit histoire durant plus de deux mille ans sur les rives toujours agitées de la dame Liger. Il fit même candidature pour aller raconter la Loire dans les coursives du tourisme local. La seconde entreprise ne fut qu'un coup d'épée dans l'eau, elle n'aboutit à rien par la faute d'une crise sanitaire qui entendait bâillonner les libres parleurs. Il décida même de renoncer désormais à envisager nouvelle collaboration.
Il croyait pourtant encore en sa bonne étoile, lui qui puisait son inspiration en gardant les yeux au ciel. Il déposa candidature pour le Prochain Grand Festival fluvial, pensant naïvement qu'un bonimenteur de Loire avait toute sa place dans la programmation. Il eut certes une première réponse d'un programmateur de Montluçon dont la maison mère se trouve à Marseille ; autant de localisations qui attestent d'une connaissance manifeste du dossier ligérien. Le courriel fut évasif, poli, demandant des précisions sans grande conviction. Puis plus rien, car il ne s'agit pas de perdre du temps avec celui qui est insignifiant.
Le raconteux relança l'important qui lui adressa une de ces réponses toutes faites qui sont aussi vides d'espoir que de respect. Il n'y avait pas place pour ses histoires de Loire au festival éponyme. Il est permis de penser que le décor des bateaux sur l'eau n'est qu'un prétexte ou alors il faut envisager le plus scabreux : la mise à l'écart idéologique, ce qui lui serait faire grand honneur. La tolérance sur notre rivière avait des maisons qui se nommaient « bordeaux ». On lui signifiait aimablement qu'il n'avait qu'à s'y rendre pour un usage assez inhabituel à l'époque.
Comment allait-il digérer l'affront ? Fort mal vous devez vous en douter et par la plume pour tancer ces drôles d'oiseaux aux longs cous mais à la vue basse qui affichent des postures qui ne sont que de circonstance. La Loire, ils n'en ont rien à battre, elle ne sert que de vitrine pour y glisser des animations grands publics, du spectaculaire, du tape à l'œil, de quoi faire mousser les chers organisateurs.
Le palabreur n'a plus qu'à parcourir sa chère rivière loin de sa ville de résidence. Comme il doit de plus éviter sa ville natale, il doit se convaincre que l'adage : « Nul n'est prophète en son pays ! » vaut aussi pour ceux qui font œuvre de mémoire. Il ne baisse pas les armes bien au contraire, sa plume se trempera plus sûrement dans une encre vipérine pour moquer les scélérats coupables de la chose.
Son guide ne sera pas confié aux gardiens du temple local, il ne sera proposé que sous le manteau puisque considéré comme l'œuvre d'un indésirable. Il n'est pas question de renoncer à sa diffusion, il s'agit simplement de se mettre en cohérence avec cette insulte johannique.
Affrontement leur.