Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
14 Avril 2021
Révision avant le Festival de Loire 2021
Bienvenus parmi le petit peuple de la rivière, celui qui durant toute l’histoire a vécu chichement de cette formidable aventure qui transforma la Loire en poumons économiques du royaume. Comme souvent, pour que les richesses s’échangent et circulent, il convient que des humbles s’échinent au profit des riches marchands, des nobles et du roi.
Je suis un gars de la rivière
Qui a fait tous les petits métiers
De ceux qu’on ne met pas en lumière
Dans vos grandes et doctes assemblées
Si l’histoire aime à retenir les mariniers, ces seigneurs de l’eau aux mœurs douteuses, au langage peu châtié et au comportement fort peu exemplaire, il y a une myriade d’activités qui gravitent autour d’eux. Les chie dans l’eau , s’ils méprisent les culs terreux plus par folklore que par rivalité concrète, sont tous issus de la plèbe, de ce peuple des gueux qui, pour l'essentiel, est accablé de taxes, impôts et corvées.
Quittons les bateaux pour se rendre sur la berge où s’activent ceux qui ne naviguent pas mais sans lesquels rien ne serait possible. À tout seigneur tout honneur, il convient de commencer par les charpentiers fluviaux. Ils fabriquent les bateaux : chalands, fûtreaux, toues, plates, sapines suivant les besoins des uns et des autres. Chacun exprime à sa manière les impératifs de la construction, il n’y a pas de modèles déposés même si pour l’essentiel, les grands principes viennent encore des Vikings.
J’ai commis pour vous bien des labeurs
Sans mesurer la sueur sur mon front
Je ne suis qu’un humble travailleur
Payé trop souvent de vos affronts
Le bateau construit, il faut en assurer l’étanchéité. Les calfats étalent le goudron et la poix, ils colmatent les interstices du bois avec de l’étoupe. Ils respirent des odeurs et des effluves malsaines pour empocher trois fois rien, comme beaucoup d’autres métiers qui vivent d’expédients. C’est le lot de la rivière, les hommes y grouillent comme dans une fourmilière et bien peu sont ceux qui en vivent aisément.
Pour franchir les ponts, les trains de bateaux sollicitent les gobeux, ces hommes forts qui louent leurs bras pour tirer cet ensemble de 180 mètres de long, lourdement chargé. C’est un effort terrible, bref, intense pour quelques pièces qui améliorent tout juste l’ordinaire. Quand il y a du vent porteur, les mariniers font l’économie de cette dépense en passant le convoi sous voile dans une manœuvre spectaculaire dite à la volée.
Sur les flots du matin jusqu’au soir
Sans la moindre vie de famille
Je passe ma vie sur la Loire
Pour tout juste quelques broutilles
Sur le quai, les portefaix, les charretiers, les marchands attendent les bateaux. Les uns déchargent, les autres transportent quand les derniers font des affaires. Une grande partie du fret arrivant en Orléans jusqu’à l’ouverture des canaux de Briare puis d’Orléans, transite ici avant de partir vers la Capitale. La place du Martroi est devenue au fil du temps le nœud essentiel de cette activité.
Sur l’eau nous trouvons encore les tireux d’jard, les pêcheurs, les meuniers sur les moulins à nefs, les producteurs d’osiers, les passeurs. Chacun revendique sa place, peut parfois entrer en concurrence avec d’autres métiers. C’est la foire d’empoigne et la loi du plus fort est souvent la règle. Les contentieux sont légion et les naufrages pas rares. La Loire n’est pas un long fleuve tranquille et les gens d’alors l’appellent affectueusement la rivière.
Courbé sous la terrible bricole
Affrontant un redoutable courant
Une bête de somme sous licol
Un travail qui ne donne guère d’argent
Tous ces hommes dans la force de l’âge et pour certains fort loin de chez eux attirent naturellement le plus vieux métier du monde. Pour les mariniers, ce sont des bordeaux, maisons borgnes éclairées par des lanternes rouges où parfois le service est rendu pour quatre sous. Il convient de ne pas trop vider des bourses qui ne sont guère pleines.
D’autres femmes s’affairent. Elles lavent le linge sale des familles bourgeoises, accroupies sur leur caisse à savon, maniant le battoir tout autant que la langue. Le métier est rude, si difficile que pas un homme ne s’aventure à mettre les mains dans l’eau froide. Les bateaux lavoirs offriront sur le tard de l’eau chaude et un peu de confort mais c’est bien tard quand la marine marchande a laissé place au chemin de fer. Prenez bien garde de ne pas vous leurrer avec le terme trompeur et ensoleillé de lavandière. Elles étaient laveuses et s’échinaient par tous les temps plus sur les rivières et les canaux que sur la Loire, peu propice à cette activité.
J’ai passé la poix ou le goudron
Pour rendre étanche tous vos bateaux
Glissant la mousse sous votre pont
Calfat payé d’un maigre pognon
Certaines manient l’aiguille pour coudre et réparer les voiles. Elles sont un des maillons d’une grande chaîne d’activités qui fleurissent elles aussi en bord de rivière. Les paysans cultivent le chènevis, ils récoltent les grandes tiges qu'ils mettront à cuire dans l’eau, avant d’en faire le chanvre qui fournira les cordages et les voiles. Cordiers, et couseuses sont ceux qui favorisent la remonte.
À la descente, des hommes nous viennent de la Loire d’en haut pour un voyage au gré du courant. Ils transportent du charbon, du bois, du vin. Ils se dirigent à la bourde et ont souvent bien des difficultés à maîtriser des bateaux lourdement chargés. La descente se fait souvent à couple, deux sapines reliées l’une à l’autre pour naviguer de front. Là encore c’est une mesure de sécurité qui justifie cette façon de faire. Les bateaux sont vendus à l’arrivée pour devenir des allèges ou bien ils sont dépecés (et non déchirés) pour servir de bois de chauffe et de charpente pour les pièces maîtresses. Les hommes deviennent souvent haleurs pour rentabiliser la remonte vers Roanne quand c’est possible naturellement.
En ployant sous d’imposants fardeaux
J’espère rester en équilibre
Sur la planche de rive de ce bateau
Moi le trimard tout juste libre
Le maraîchage, la vigne, l’agriculture profitent des bateaux pour transporter leurs produits. Le vin dans l’orléanais a connu son heure de gloire avec près de 30 000 hectares de vignes et un quasi monopole sur la vente vers Paris. La qualité fit progressivement défaut et le phylloxéra acheva d’abattre ce que la cupidité avait mis à mal. La culture des fruits sera un substitut à la monoculture de la vigne et la vente des pommes à la capitale sera bien souvent la grande sortie annuelle des femmes de la région.
Il y a encore des activités annexes, certaines qu’on aimerait oublier comme celle des gabelous, les soldats de la gabelle, cet odieux impôt du sel. Nous tairons ceux qui tentaient de se jouer d’eux et qu’on nommaient les faux sauniers. Les dragons gardaient les routes et les greniers à sel, réserves du sel dûment taxées dans notre région de grande gabelle. Les taverniers et les aubergistes abreuvaient comme il convient des gars qui aimaient à boire plus que de raison. Les rixes ne manquaient pas et quelques prisons à mariniers permettaient de mettre au calme les têtes brûlées.
Ces richesses déchargées sans entrave
Proviennent d’outre atlantique
Produites là-bas pas des esclaves
Pour vous, les bourgeois de barrique
Des commerces demanderaient de fermer les yeux sur leurs origines. La Loire a largement profité du commerce triangulaire, en fournissant des marchandises d’échanges mais aussi en recevant la mélasse, le coton, le café et le chocolat. Orléans s'y fit le carrefour du sucre et pas moins de 33 raffineries dont certains propriétaires n’hésitèrent pas à se faire négriers. On doit jeter un voile pudique sur cette période d’autant que la volonté de l’occulter est manifeste dans la cité Johannique.
L’église quant à elle fut le ciment de l’unité supposée de cette société. Là encore il conviendra d’occulter le massacre de la Saint Barthélémy, très actif en Orléans, les guerres de religions qui déchirèrent la région, la christianisation menée tambour battant après le départ des romains. De grands personnages émergèrent de cette histoire parfois sulfureuse. Parmi eux, Théodulphe mérite d’être cité en tout premier, lui qui installa et favorisa l’école pour les plus humbles dans les années 800.
Votre arrogance est une insulte
Pour nous tous, les humbles de ce quai
Un jour vous ferez la culbute
Quand viendra la révolte des laquais
Les abbayes jouèrent grâce à lui un grand rôle, celle de Micy mais aussi Saint Liphard à Meung, Sainte Croix et Saint Aignan à Orléans et Fleury à Saint Benoît. Mesmin et les siens avaient établi les bases de cette aventure religieuse et politique sous l’impulsion de Clovis en 509. C’est d’ailleurs à son initiative que les moulins firent leur apparition sur le Loiret. Quelques temps plus tard, la rivière devint propriété royale avec Louis VI qui s’appropria les poissons et ses ressources.
Les riverains n’avaient qu’à travailler et baisser la tête. Les mariniers quant à eux ployaient sur les 220 péages qui un temps transformaient la Loire en coupe gorge fiscal. Quand on sait que les ponts nécessitait octroi, on comprend mieux que les passeurs firent longtemps de bonnes affaires.
L’histoire ne réclame pas des comptes
À ceux qui se sont gavés ainsi
C’est par le biais de mes contes
Que je révèle vos infamies
Ainsi ce monde que nous vous avons décrit ici n’était pas idyllique loin s’en faut. Il y avait de la sueur, du sang, des larmes mais aussi une véritable solidarité et une joie de vivre qui peut s’expliquer comme une réponse aux injustices et aux obstacles mis en travers de leurs existences. Et puis la Loire était et restera longtemps le trait d’union et d’amour des gens d’ici et c’est pourquoi nous continuons de la chérir et de lui rendre hommage.
Ceux d'la rivière...
Nous sommes les crève-la-faim
Gagne-petit, pauvres misères
Tout juste des bons à rien
Trimant au bord de la rivière
Que les marchands au ventre gras
Exploitent jusque z'à la trogne
Se nourrissant sur nos gros bras
Et sans pitié et sans vergogne
Nous sommes les cht'iots calfats
Les besogneux dessus le quai
Passant le goudron et la poix
Plus méprisés que vos laquais
Un travail juste pour les chiens
Que l'on paie d'un os à ronger
De quelques miettes de pain
Avant de nous donner congé
Nous sommes aussi les portefaix
Les costauds au pied des bateaux
Pour soulever tous vos effets
Et les porter sur les chariots
De nos vieilles mains calleuses
Nous soulevons ces lourdes charges
Que vos moqueries si honteuses
Alourdissent encore davantage.
Nous sommes encore les gobeux
Les haleurs du bout de nos ponts
Tirant aussi fort que des bœufs
Les trains de bateaux vers l'amont
La bricole nous scie les reins
Nous luttons contre le courant
Pour empocher just' trois fois rien
À la santé des commerçants
Nous sommes les tireux de sable
Et nous puisons dans la rivière
Les précieux grains si friables
Qui bâtissent votre chaumière
Tous les jours au milieu des flots
La queue de singe dans les mains
Nous remplissons notre bateau
En un labeur fort peu humain
Nous sommes les crève-la-faim
Gagne-petit, pauvres misères
Tout juste des bons à rien
Trimant au bord de la rivière
Que les marchands au ventre gras
Exploitent jusque z'à la trogne
Se nourrissant sur nos gros bras
Et sans pitié et sans vergogne