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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Il fit enfin amende honorable

Sur le bord du chemin…

 

 

Il était une fois un appareil photographique qui avait horreur de voyager parce qu'il avait la phobie de la vitesse. Il ne désirait qu'une chose, se poser au bord d'un coin tranquille pour traquer le cliché qui allait le rendre célèbre. Il entendait ne pas changer de place, voulant ainsi, en ce décor unique, rendre compte d'une diversité qui échappait sans doute au commun des mortels.

 

Notre ami entreprit son œuvre, celle qui pensait-il allait le placer au rang de bienfaiteur de l'humanité en se carrant le long d'un fossé, faisant face à ces événements qui pouvaient surgir en face de lui. Il avait choisi un camouflage assez sommaire, s'était solidement caparaçonné pour supporter frimas et canicules, intempéries et précipitations.

 

Il se rendit compte qu'il avait commis une grave erreur d'appréciation. En pointant son regard en face de ses modèles, il ne parvenait pas à tous les identifier. Il comprit alors que pour remplir pleinement sa mission, il convenait de leur tourner le dos, pour mettre en valeur le plus significatif de leur anatomie : l'arrière-train. Ainsi, nul n'aurait à se plaindre d'être surpris en galante compagnie tandis que personne n’échapperait à son regard acéré.

 

Il se rendit compte qu'ainsi il était de plus en plus exposé aux critiques comme aux accidents de la vie. Il ne pouvait se contenter de ce plan trop simpliste qui ne rend pas assez compte de la célérité de ses personnages. Il choisit de prendre de la hauteur préférant ainsi la plongée, cet angle de vue qui place le sujet en situation délicate. Il pensait bien faire, il se tira une balle dans le pied.

 

Il dut tout d’abord reconnaître sa fourberie en installant un panneau annonçant sa présence. La surprise ne pouvait plus être le sujet principal de son travail. Il se mit à chercher les fourbes, les inconscients, les étourdis, les plus pressés ou bien les réfractaires qui passaient à côté de son avertissement. Pour ne pas rester inactif, il changea de poste de surveillance, privilégiant une zone piégeuse et anodine.

 

Il ne connut pas un succès qu'on ne peut qualifier d'estime, bien au contraire. Il devint une sorte de bouc-émissaire du mécontentement. Ses clichés étaient le plus souvent limites, il pointait un dépassement des règles extrêmement ténu. On le qualifia de tatillon avant que de le pointer du doigt, de le couvrir d'agonie, de vouloir le condamner au silence.

 

Il en fut profondément affecté au point d'en être malade. Il fut victime d'une redoutable fièvre jaune qui le contraignit à garder la chambre de longs mois durant. Il se sentait mal aimé, ne parvenant pas à remonter la pente. C'est cette expression qui trotta dans sa tête. Il se dit alors qu'il devait, pour redresser sa côte de popularité, se percher plus haut encore. Il changea d'appareil, s'équipant du dernier cri de la technologie optique. Il se dit encore qu'il lui faudrait diversifier non seulement ses angles de vues mais encore les sujets de sa curiosité.

 

Il se pensait immunisé. La crise avait été salutaire pensait-il. Il échapperait désormais à l'ire de ceux qu'il prenait en flagrant délit d'incivisme. Il avait largement augmenté sa gamme chromatique, modifiant non seulement le régalage de la vitesse mais aussi celui de la profondeur de champ et cherchant la petite bête en d'autres domaines. Il était paré, disposant d'une véritable panoplie numérique de haute-gamme.

 

Quelle déception pour lui car en dépit des sommes considérables qu'il avait consacré à son nouvel équipement, il n'hérita pas en retour de la considération de ses victimes. Il connut même de nouvelles alertes, des tentatives de déstabilisation. Certains voulaient lui couper l'herbe sous le pied, d'autres tentèrent de lui jeter de la poudre aux yeux.

 

C'est alors qu’il prit véritablement conscience de sa mesquinerie, de son rôle d'espion au service d'une puissance qui ne cherchait nullement le bonheur des gens. Il était entré sans s'en rendre compte dans la grande histoire des bandits de grand chemin, des coupe-jarrets et taille-bourses. Ce n'était qu'un prédateur alors qu'il se pensait artiste.

 

Cette révélation le poussa à pratiquer quelque chose qui jusqu'alors était totalement inimaginable surtout pour lui. Il fit amende honorable. Il fallait qu'il soit au bout du rouleau pour aller jusqu'à cette extrémité. Son acte de contrition ne fut pas suffisant aux yeux de ses innombrables victimes. Il entendit leurs quolibets et leurs lazzis. S'en fut trop, il se donna la mort par immolation. Ainsi finit la lamentable existence de ce radar routier, un mal aimé resté sur le bord du chemin.

 

Métaphoriquement sien.

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