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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L’important, c’est la prose …

On peut en gloser longtemps

 

 

Si les paroles s’envolent, les écrits restent. C’est du moins ce qu’il était coutume de dire dans les dîners et lors des discussions animées entre gens de la haute. Le truisme donne toujours de la contenance à celui qui s’aventure sur le terrain glissant de l’affirmation qui se revendique comme étant une évidence incontestable. Affirmation d’autant plus étrange qu’elle émane souvent d’un non -lecteur, espèce en voie de prolifération.

Curieusement cependant, nous pouvons gloser à l’infini sur ce propos qui tient lieu de vérité incontestable tout autant que d’axiome déguisé en aphorisme. La première remarque sera d’ordre technique. Bien des écrits furent jadis écrits à la plume, il est donc curieux de leur dénier le droit à l’élévation dans les airs tout comme l’accès à l’insoutenable légèreté de la lettre. L’oie a donné de son corps pour que l’écrit se fasse oiseau migrateur. L’imprimerie lui plomba un temps les ailes, lui conférant cette lourdeur qui sied à ce métal qui n’a rien de comparable à l’or. Puis les progrès de la technologie ont donné la possibilité à l’écriture de voguer plus aisément, de surfer sur la vague avant que de sombrer dans son creux.

C’est ainsi que survit la seconde remarque : l’écrit se noie dans son abondance, il a submergé toutes les digues, prenant tellement de formes qu’il n’est plus possible de lui attribuer la même valeur. Les textes ont d’ailleurs beaucoup perdu, se vidant de leur substance, ne faisant plus corps avec une idée et exigeant une police pour mieux s’imprimer dans les consciences. Trop d’écrits tuent l’écrit et laissent sans voix les commentateurs de la chose. La logorrhée provoque la cacophonie.

Le texte a perdu non seulement sa densité mais également sa forme. Les mots se raccourcissent, se distordent, s’émancipent de la syntaxe. Ils sont jetés en pâture comme des cris qu’on avale sans même les digérer. Le scripteur se prive de la nécessaire rumination avant que de coucher sur l’écran un mot plus souvent qu’une phrase. Le lapidaire a pris le pas sur l’élaboré. Les écrits sont soumis à un régime draconien, il y eut même une époque où le mot était contingenté, compté pour rester dans une limite acceptable.

Le caractère a subi le même sort. Il doit tenir dans une limite, ce qui souvent ôte toute personnalité à ce qu’il est censé porter. L’écrit est devenu une forme diluée de la pensée, un raccourci d’une réflexion qui se contente d’être le reflet d’une idée commune et sans saveur. Sa multiplication n’est qu’un marcottage de clones, une variation à l’infini du même propos.

Alors, pour sortir de ce marasme épouvantable, seule la fiction peut sauver notre culture. Bien sûr, le roman en est son porte-falot, cette lumière ténue qui tente de s’imposer dans les ténèbres d’une communication vide de sens. Tout ce qui fait sens à travers l’imaginaire est en mesure de constituer un électrochoc dans les rares cerveaux encore déconnectés de la machine médiatique à décérébrer.

Lire relèvera prochainement du délit pour peu qu’il s’agisse de fictions évoquant le devenir de cette société, en critiquant les travers et les dérives. Nous avons perçu combien le livre est considéré comme dangereux par les tenants de cette civilisation du vide et de la consommation. Tout ce qui fait Culture est à jeter aux oubliettes. L’édition quand elle survit ne fait plus place qu’aux illusions. Les livres pour être vendus doivent porter le nom d’une vedette, d’un politicien, d’une fille de bonne famille ou du descendant sans talent d’une notabilité sans idée. La couverture est devenue une carte de visite tirée d’un bulletin mondain.

L’important c’est la prose. Ne le perdez jamais de vue. Il faut lire en se donnant le temps de la pensée, en repoussant le pré mâché, le superflu de la tendance et de l’actualité. Lire c’est essentiel tout autant que gravement subversif. Ne vous y trompez pas, c’est un acte politique pour lequel vous aurez bientôt à rendre des comptes. Alors, ne perdez pas que les vrais écrits ne font pas devanture, il faut aller les quérir sous le manteau.

Prosaïquement vôtre

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A
Merci, au plaisir de vous voir ????
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C
Pas de pub
K
Bonjour Nabum,<br /> <br /> Je rejoins en grande partie votre critique générale. <br /> Seule la littérature permet l'évasion, incontestablement, face au septième art et aux musiques plébiscitées soumis au même cahier des charges idéologiques que le plus grand nombre des médias privés et publics.<br /> Les livres sont le dernier refuge, le dernier espace de liberté, de pluralité expressive; même si malheureusement, la meute tente par tous les moyens d'invisibiliser ou de détruire toute critique de ce qu'elle considère réactionnaire. S'ils sont dotés en plus de talent, cela leur apparaît doublement insupportable. Le cahier des charges ou l'anonymat au mieux. Le cahier des charges où la mort sociale au pire.<br /> Fort heureusement, des pôles de résistance à la tendance de la fabrique à incultes se forgent ça et là.<br /> J'ai découvert il y a peu, un professeur d'université en rhétorique sur youtube, qui transmet et vulgarise la passion de son son art pour le rendre accessible à tous.<br /> Il souhaite créer une agora populaire dans l'esprit de Michel Onfray.<br /> Son nom, Victor Ferry, je vous recommande ce professeur qui prend à contre-pied la médiocrité systémique de notre époque
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C
Bonsoir Kakashi<br /> <br /> Nous sommes totalement en phase<br /> Je vais aller écouter ou lire plus sûrement de monsieur<br /> <br /> Merci pour ce conseil qui doit être, vous connaissant judicieux<br /> <br /> La disparition lente et inexorable de la presse écrite, celle qui prend le temps d ela réflexion et de l'analyse démontre par le contre exemple combien la vitesse, l'immédiateté en tout domaine est mauvaise conseillère