Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
18 Août 2020
L’émoticône en question.
Un ami m’a reproché quand j’usais d’ironie ou de second degré de ne pas compléter mon commentaire d’un petit dessin prévenant le lecteur le nez sur son écran. J’avoue à ma grande surprise ne pas avoir immédiatement saisi la portée de cette remarque, destinée à me rendre service. Il est vrai que bien des fois, la perfidie d’une réplique passe pour de la dérision déplacée ou pire encore pour un outrage à la bienséance guindée.
Je bats ma coulpe. Mon ironie se passe de guillemets, voilà une erreur qui mérite la condamnation des bien-pensants et des moralisateurs à la petite semaine. Mes propos se chargent maladroitement de formulations aujourd’hui obsolètes, de mots qui sont sortis du lexique basique de l’internaute sidérant. L’humour de bon aloi, celui qui se comprend aisément et fait le succès de cette formidable génération d’humoristes tristes doit impérativement se situer en dessous de la ceinture.
Fort de toutes ses tares irrémédiables, je devrais cesser dans l’instant de rédiger des saillies qui ne sont pas des viols de la langue pour tenter désespérément de toucher l’esprit de ceux qui ont perdu de vue cette merveilleuse qualité des gens de lettres ou de salon. Je devrais m’abstenir d’user du calembour distingué, la forme échappe quand elle n’est pas balisée par quelques dessins aussi stupides qu’encombrants dans une phrase structurée naturellement par tous les outils de la langue et du clavier prévus à cet effet.
Je découvre alors que j’aggrave mon cas en repoussant désespérément les termes en anglais, les horreurs de la nov-langue et autres onomatopées si prisées des adeptes d’un français créolisé, amaigri, hybride et débarrassé de ses conjonctions, adverbes à l’exception de TROP, adjectifs plus complexes que ceux qui figurent dans le Français pour les Nuls. Je m’enlise quand je m’interdis le langage passé à la machine, celui qui raccourcit les mots eux-mêmes, ce merveilleux héritage d’une culture qui subit les attaques massives des crétins modernes.
Il est donc urgent pour être compris par les nouveaux chantres de la pensée à la mode de passer la débroussailleuse dans ce maquis de signes, de lettres, de ponctuation qui éloignent de moi les adeptes de la phrase au ras des pâquerettes même si ceux-là ignorent tout de cette belle petite fleur des champs tout autant que du rôle de la métaphore dans la langue. Je devrais aérer mon propos de quelques idéogrammes grimaçants, de pictogrammes drolatiques et de logogrammes prévenants du registre emprunté.
Je me rends compte une fois encore que j’ose inclure dans mes propos des mots qui relèvent du chinois pour ces lecteurs pressés, incapables du reste de parvenir jusqu’à ces 2 709 caractères, une épreuve insurmontable pour ces personnes qui ont grandi (si on peut qualifier ainsi leur évolution) dans la limitation à 140 signes, passée depuis peu à 280. Vous constaterez que le caractère qu’il soit bon ou mauvais s’efface lui aussi devant le signe pour faire place à ces horribles représentants de la pensée moderne.
J’avertis aimablement les éventuels lecteurs au long cours ; ce brûlot exprime tout à la fois mon courroux, mon exaspération et mon immense inquiétude pour notre langue. Si par facétie, provocation ou raillerie, je recevais en réponse ces abominables agents du crétinisme globalisé, sachez que non seulement j’en serai marri et forcément contrarié mais surtout très inquiet pour votre niveau de compréhension. Je laisse à chacun l’occasion de montrer dans quel camp il se situe. Quant à ceux qui ne savent pas écrire du tout, je doute qu’il puisse lire un aussi long billet d’humeur sans la moindre illustration. Je leur conseille la fréquentation réitérée et assidue de TF1, BFM et M6 ainsi que tous les autres médias qui ont pour mission d’en faire des primates régressifs.
Illustrativement vôtre.
Attention ce texte est strictement parodique, il entre dans le registre du pamphlet ulcéré. Il convient donc de le prendre avec des pincettes et une distanciation qui s’inscrit dans la gamme si variée des gestes barrières ; ceux-là même qui vous évitent de devenir intelligent.