Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
16 Juillet 2020
Il était une fois un poisson qui aimait à surprendre son monde. Tout d’abord, ce curieux animal est doté de paupières, une particularité fort rare chez ses frères les poissons. C’est sans doute pourquoi il est capable de pleurer si on le fait cuire dans un court bouillon chargé d’oignons. Mais ceci demande vérification. De plus, le galopin ne vient pas comme ses camarades migrateurs transmettre la vie dans nos rivières, lui préfère la mer pour assurer sa reproduction loin des pêcheurs de nos rives.
C’est donc préoccupé du seul besoin de trouver sa subsistance qu’un mulet de belle taille vint frayer sans le faire amoureusement dans les eaux de Loire, c’est ainsi que les gens savants le qualifie de catadrome quand ils veulent briller en société. Grand voyageur, il avait pris ses quartiers d’été du côté de Saumur. On ne peut lui reprocher ce choix, il est celui d’un poisson de goût et pas seulement dans l’assiette des esthètes.
C’est justement un gourmand qui avait entendu parler de la succulence de la chair du mulet. Le garçon n’était pas très malin même s’il avait atteint l’âge adulte. Ses amis, toujours prompts à la moquerie disaient volontiers de lui qu’il était bien plus un sot mur qu’un saumurois. Forts de cette assertion non dénuée de pertinence, ils s’étaient mis en tête de lui jouer un vilain tour.
Comme le dahu ne court pas les rives de la rivière, ils se mirent en quête d’une farce pendable pour ce gentil benêt. Un banc de mulets justement faisaient les délices des pêcheurs du coin. Les lascars se dirent qu’il y avait moyen de se payer une tranche de rigolade tout autant que la trombine du pauvre garçon. De plus, ces individus peu recommandables, étaient les honorables membres des Ligériens Vadrouilleurs, une association ayant pour but social d’organiser des excursions dans leur belle région.
Il y avait là occasion rêvée de distraire leurs clients tout autant que de se moquer d’un simple d’esprit. Reconnaissons que la chose est détestable même si elle a court en maintes occasions. Le rire n’est jamais aussi aisé à obtenir que lorsqu’il se fait au dépens d’une victime innocente. Ce ressort n’a cessé d’être exploité par nos grands humoristes comme par les plus médiocres qui trop souvent, ajoutent quant à eux la méchanceté à la taquinerie.
Ainsi l’un des organisateurs avait convaincu le pauvre Berlaudiot que le mulet en pleine saison se prenait avait une carotte accrochée à l’hameçon d’une ligne fixée à un bâton pour peu que le pêcheur fût équipé d’un grand chapeau de paille. Pour incroyable que soit la supercherie, le gentil niaiseux mordit à la farce tout en demandant s’il fallait que la carotte fût cuite ou crue. La question laissa perplexe l’intrigant qui n’avait pas songé aux détails de sa supercherie.
Puis, se rendant compte du profit qu’il y avait à la chose, après un temps de réflexion, il lui affirma qu’il fallait des carottes cuites pourvu qu’elles sortent juste de la casserole avant que de l’accrocher à une ligne qui devait être nécessairement munie d’un bouchon de paille. Ainsi, le spectacle d’un pêcheur avec un réchaud à gaz faisant cuire des carottes allait réjouir les touristes étrangers.
Rendez-vous fut pris pour que la farce coïncide parfaitement avec le passage d’un groupe conduit par un certain Vincent, guide réputé dans cette association. Le Berlaudiot sans poser d’autres questions se mit en demeure de se trouver à l'embouchure du Thouet à l’heure indiquée avec bâton, bouchon de paille, réchaud, chapeau et bottes de carottes.
Avertissant ses touristes qu’ils allaient assister à un curieux spectacle qu’on ne trouve que dans le saumurois, le gars Vincent amena son groupe à proximité de celui qui devait être le dindon de la farce. Berlaudiot était effectivement en place, bâton en main, chapeau sur la tête et tout l’attirail qu’on lui avait conseillé. Il était fort affairé, ne cessant de sortir de l’eau de beaux mulets dont certains nécessitaient l’usage d’une épuisette.
Vincent se demanda quel était ce prodige. Ces clients quant à eux, admiraient la dextérité du pêcheur au lieu de rire à ses dépens. Seul son accoutrement prêtait à sourire. Il avait en effet recouvert son couvre-chef d’un formidable bonnet d’âne tandis qu’il portait aux pieds une paire de bottes de couleur orange. Derrière lui, un camping gaz permettait à des carottes de se transformer en une purée qui une fois mélangée avec la terre des taupinières, produit un formidable appât.
Tout penaud, le guide qui espérait se moquer de son prochain eut la malencontreuse idée d’interroger le pêcheur avec la sempiternelle question du badaud : « Est-ce que ça mord ? » L’autre se retourna et lui répondit : « Les mulets se régalent tandis que l’âne qui se trouve derrière moi risque de manger son chapeau ... »
Tout en disant cela, celui qu’on avait pris un peu vite pour un fieffé idiot, retira son bonnet d’âne, pris son chapeau de paille qu’il tendit à celui qui avait voulu se payer sa tête. L’autre, devant les éclats de rire de sa troupe de curieux, beau joueur, n’eut d’autre recours que de s'exécuter. Voilà ce qui arrive à ceux qui aiment à prendre leurs semblables pour des imbéciles.
Devant le succès de la scène, il y a désormais toujours au programme des Ligériens Vadrouilleurs cette aimable saynète. Seul le guide Vincent trouve la chose de mauvais goût, il se murmure même qu’il en ferait depuis une indigestion. Fort heureusement, un bon verre de Saumur pétillant vient faire oublier ce désagrément car il est hors de question qu’on boive cet excellent breuvage à la paille.
Catadromiquement leur.
Rejoignez-le aux Ligériens Vadrouilleurs