Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Les jumeaux et la jument : La Douce

Quand la réalité dépasse la fiction
 
 
Il était une fois deux gamins qui adoraient passer leur vacances en bord de Loire à Saint-Claude-de-Diray, un petit village près de Blois. La seconde guerre mondiale n’empêche nullement Gaston d’être un grand-père heureux. Pour les grandes vacances, il reçoit dans sa ferme les deux jumeaux intrépides. Ah, ce qu'il les aime ces petits diables ! Dès qu'ils sont à la pêche, Félix et Jacques, ils deviennent miraculeusement calmes.
 
Félix et Jacques n'aiment rien tant que la pêche à la barbote, à trousse-culotte comme dit Gaston, le sourire aux lèvres. Une laitière accrochée à la ceinture, un petit scion muni d'une ligne sommaire, ils patouillent dans l'eau pour provoquer un nuage de sable. C'est là qu'aiment venir se réfugier les goujons et les ablettes. Ils en prennent à foison, ramenant de quoi se régaler.
 
Gaston retourne à la ferme, fier comme Artaban, avec un gamin à chaque main. C'est Eugénie, sa femme, qui va préparer la friture. Bien que nous soyons dans le Loir-et-Cher, Eugénie a conservé, de son pays des maisons troglodytes, la manière si particulière de préparer ces jolis petits poissons d’argent
 
Dans la région de Saumur, les fines gueules préparent une pâte à beignets pour y tremper les poissons avant que de les frire délicatement. Pour les deux gamins, c'est à chaque fois une fête et un festin. Ils seraient bien incapables de dire où va leur préférence entre la journée de pêche avec Pépé ou le rituel de la préparation succulente friture avec Mémé.
 
Hélas, la guerre voulut interrompre ce bonheur simple. Les privations des mois passés avec leurs parents en région parisienne, frappèrent Félix au cœur de l’hiver. Le malheureux fut atteint par la redoutable poliomyélite. L'été suivant, c'est un gamin malingre au regard triste qui arriva en compagnie de son frangin, lui fort heureusement en pleine forme.
 
Gaston avait compris ce qui tracassait le plus son petit-fils malade. L'enfant était si peu robuste sur ses jambes qu'il se savait incapable de profiter de son plus grand plaisir. Gaston se doutait bien de ce qui tourmentait son Félix. Il ne dit rien, faisant comme si de rien n’était à leur arrivée. Le lendemain matin, le regard malicieux et la moustache dressée, Pépé au petit déjeuner déclara à ses deux pensionnaire : «Dépêchez-vous les « gnas » ! Il vous faut ramasser des vers de terre, tantôt nous allons à la pêche ».
 
Les exclamations avaient été moins bruyantes que les années précédentes. Jacques n'osait pas exprimer sa joie et Félix se voyait contraint de pêcher de la berge, ce qui avouons le est beaucoup moins drôle. Pour ne pas contrarier Gaston et sa bonne humeur, ils se mirent à fouiller autour du tas de fumier, Jacques à la manœuvre et Félix à l'observation, assis sur une chaise.
 
Après le repas, sans tarder, ils se mirent en route. Gaston les avait assis tous deux à l’arrière du tombereau. Gaston tenait le licol pour conduire le brave La Douce, un beauceron puissant qui travaillait à la ferme. Félix et Jacques, goûtaient avec plaisir ce nouveau mode de transport pour se rendre à la pêche. La maladie de l’un offrait au moins cette fantaisie qui les enchantait tous deux.
 
Arrivé à la rivière, l’attelage descendit par la cale située juste en face du beau château de la Pompadour à Menars. Ils pêchaient habituellement à la pointe de la quatrième île. C'est là que les autres années, ils prenaient le plus de fritures. Jacques s'apprêtait à sauter pour courir au bord de l’eau quand Gaston leur ordonna de ne pas bouger. Les jumeaux se demandaient vraiment quel tour le Pépé allait leur jouer.
 
Ils ne furent pas déçus. Le cheval suivi tranquillement par son tombereau entrèrent dans l'eau. Les deux gamins toujours jugé sur leur carrosse, observaient la manœuvre sans piper mot. La Douce mit alors le bout du nez vers l'amont, juste dans le prolongement de la pointe de la grande île. L'équipage placé ainsi à quelques mètres de la rive, parallèlement à celle-ci, Gaston serra le frein et vint s’assoir à côté des frangins. C'est de là que nous allons pêcher, leur dit-il, en leur tendant leurs scions bien plus long qu’à l’accoutumée ».
 
Jacques, frustré de ne pouvoir aller dans l’eau fit la mou. Par solidarité avec son frère, il ne dit pourtant rien, comprenant le souci du Pépé de ne pas blesser davantage le pauvre Félix. Ils se mirent à l’ouvrage, réalisant de leur curieux promontoire leurs premières coulées. Jacques bougonna : « Pépé, on ne prend rien parce qu’on ne mouve pas ! »
 
Gaston, malicieux, attendait cette remarque qui avait tardé à venir. Il se passa alors quelque chose qui restera à jamais gravé dans la mémoire des enfants. Pépé fit claquer sa langue puis dit « Oh là La Douce, vas-y ma fille, fais ton travail ! » … Il y eu alors un moment de grâce, un instant magique. Ce dont Félix était désormais incapable, La Douce avait appris à le faire à sa place.
 
Inlassablement, la brave jument remuait les pattes arrières, elle barbotait pour soulever le sable et attirer les goujons et les ablettes. Ceux qui passèrent à ce moment sur la rire entendirent les bruyants éclats rires des deux enfants mêlés à ceux du grand père. Qui était le plus heureux des trois ? Nul ne pourrait le dire …
 
Très longtemps après, les frangins devenus adultes racontaient à qui voudrait bien les croire, ce moment incroyable où La Douce, le brave cheval de trait, s'était mis à remuer le sable à leur place. Je revois encore Jacques me racontant la scène. Ses yeux brillaient de la même malice sans doute que ceux de Gaston ce jour-là.
 
Jacques a aujourd’hui l'âge de son grand-père mais c'est encore le gamin de douze ans qui revivait l'aventure. Il ajouta « Et quand le poisson venait à nous bouder, La Douce levait la queue et laissait tomber un magnifique appât ! Jamais nous ne fîmes plus belle pêche que celle-là. C'est le bonheur immense de ce jour merveilleux qui donna à mon frère la force de guérir ! »
 
Je le laissai à son souvenir. Jacques était toujours assis sur le tombereau à côté de son cher vieux Gaston et de Félix aux frêles guiboles. La Douce remuait le sable. Ce n'était pas la Loire qui coulait là devant moi mais les larmes du vieil homme qui se souvenait du temps jadis. La plus belle manière de le remercier était de lui offrir ce récit. Moi aussi, ce jour-là, j’ai laissé couler quelques larmes !
 
Mémoriellement sien.
 
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Une histoire vrai ! Des souvenirs vrais !<br /> Quelle taille ont ces poissons argentés ?<br /> Merci Nabum, bon dimanche
Répondre
C
L Hatem<br /> <br /> Bonjour<br /> <br /> Ils sont de taille comparable à un anchois