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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La Carpe farcie.

Il pleuvra 40 jours plus tard.

 

 

Au temps glorieux du canal d’Orléans, les bons chrétiens et les mécréants se croisaient uniquement le jour du Seigneur. Les braves paysans, la foi chevillée au corps redoutaient la rencontre souvent inopportune de ces maudites gueules noires quand, ayant amarré leur flûte, ils s’en allaient vider quelques chopines dans l’un des troquets du pays. Les bateliers se moquaient des culs terreux qui le leur rendaient bien, les uns et les autres ignoraient alors qu’ils vivaient pourtant là les plus belles heures du pays des Loges.

Le brave curé de Vitry-aux-Loges, l’abbé Julien allait célébrer la Saint Médard, non pas le 8 juin comme le calendrier grégorien en décida mais le 20 juin, respectueux qu’il était de son calendrier éponyme, veille du solstice d’été. En cette période, les perturbations météorologiques sont fréquentes avec de nombreux orages et des pluies abondantes d’où le dicton populaire bien connu : « S’il pleut à la Saint Médard, il pleuvra 40 jours plus tard ». Pour respecter le changement de date il conviendrait de dire : « Si Médard et Barnabé, comme toujours, s’entendaient pour te jouer des tours, tu aurais encore Saint Gervais, que le beau temps va ramener ».

Profitant de la fête, le prêtre avait convié ses collègues des paroisses de la forêt d’Orléans à venir partager un banquet après la grande cérémonie. Le vin de messe coulerait à flot ; sous la soutane, il y a des gourmands que Dieu saura pardonner le jour du jugement dernier. Notre homme voulait leur offrir un plat digne d’une Saint Médard à ses coreligionnaires.

Julien, en homme de foi, songea tout naturellement à Barnabé, le braconnier, bien connu pour tous ses larcins au détriment du marquis de la Rochefoucault et de la couronne. Le canal étant par définition navigable, les poissons pris en son sein étaient propriété du roi, gare à celui qui se faisait prendre la main dans la nasse ou bien avec une ligne de fond. Barnabé était plus malin, à ce petit jeu il passait dans les mailles des filets des dragons et de la maréchaussée.

Le curé, en fin gourmet tout autant qu’en homme d’église désirait une carpe farcie pour ses hôtes portant eux-aussi soutane, c’était là une preuve d’œcuménisme que nous ne saurions leur reprocher. Il en toucha deux mots au pêcheur, tout autant devant l’éternel que dans le canal, sans vouloir savoir où et comment le sus-dit lascar allait s’approvisionner. Les voies d’eau sont aussi impénétrables que les voix du Seigneur.

Comme le digne ancêtre de Raboliot était de surcroît un fameux cordon bleu, l’abbé Julien lui confia la préparation de ce plat aussi délicat que compliqué à faire. Le curé, un jour de Saint Médard, avait d’autres chats à fouetter que de se lancer dans une préparation aussi complexe, gourmande de temps et d’ingrédients.

La discussion entre le prêtre et le Braconnier tint lieu de la conversation de marchands de chiffons. L’homme de Dieu était d’autant plus pingre que la quête dans les loges ne rendait guère, ses ouailles tout autant que les bateliers de passage vivaient aussi chichement qu’ils avaient le don impécunieux. Il mégota tant et tant sur le contrat qu’ils établirent que Barnabé en éprouva un grand ressentiment. L’homme des bois et de l’eau ne voulait pas offenser les curés d’alentour même s’il entendait bien se venger à sa manière d’une telle radinerie.

Pour une livre tournois, la carpe ne serait pas farcie de 300 g de poitrine de porc, 300 g de noix de veau, 150 g de mie de pain au lait, 2 œufs durs, 2 œufs crus, 500 g de champignons, 100 g d'échalotes, 1 l de vin blanc et 250 g de beurre. Le curé croyait sans doute à un monde plus juste que celui du Roi Louis XVI. Barnabé était bien décidé à lui jouer un tour à sa façon.

Les champignons seraient de vulgaires vesses de loups que les hommes en noir prendraient aisément pour des lanternes. Les œufs de faisane feraient l’affaire, le vin blanc serait une aimable piquette quant au beurre, la graisse de cheval le remplacerait aisément. Si avec ça, les curés n’avaient pas une bonne colique, Barnabé se ferait moine à Saint Benoît même si ce diable d’homme n’avait rien d’un candidat sérieux à la tonsure. S’il en faut une preuve la suite devra vous en convaincre.

Le curé avait un vieux chat noir qui avait fort mauvaise réputation y compris auprès des grenouilles de bénitiers. L’animal aimait à s'incruster en plein office et à venir griffer les fidèles en pleine génuflexion. Chacun avait eu à se plaindre du greffier, suppôt de Satan pour toute la communauté à l’exception de son berger. Barnabé pensa que remplacer la viande de porc et de veau par celle du maudit chat rendrait service aux fidèles et ferait tour pendable à ce curé si radin.

La chose fut exécutée dans la plus grande discrétion comme il sied à un braconnier. La carpe n'opposa aucune résistance, le chat demanda plus de patience et de rouerie. L’animal se savait détesté, se doutant bien que dans la paroisse, plus d’un aurait voulu lui tordre le cou. Barnabé attendit la nuit pour s’en saisir avant que de le réduire promptement en chair à saucisse. Quand la messe de la Saint Médard fut terminée, le curé avait sa carpe et Barnabé sa livre tournois.

Les convives se régalèrent. Jamais de mémoire de vitrylogiens, on n'avait mangé de si bon appétit un plat de fête aussi succulent. Le curé s’étonnait bien de l’absence de son matou alors qu’il y avait des reliefs qui auraient dû faire son délice. Il eut la puce à l’oreille quand le curé de Fay-aux-Loges découvrit dans sa portion un os d’une finesse sans pareille dans la morphologie du porc ou du veau.

Après un examen attentif de la pièce à conviction, tous les convives eurent l’intime conviction qu’un malandrin notoire venait de jouer un fort vilain tour qui n’était pas de cochon à leur collègue. Beaucoup estimèrent qu’il avait tendu le bâton pour se faire battre tant le plat préparé par Barnabé méritait bien plus que ce maigre dédommagement. Mais la solidarité des hommes de robe remporta la partie, chacun de se signer tout en faisant grande prière pour digérer ce représentant de Satan sur terre. Ils regrettèrent amèrement leur bienveillante mansuétude quand ils passèrent la journée du lendemain sur leur chaise percée ...

Le curé garda cet affront sur l’estomac sans rien en laisser paraître. Le temps nécessaire pour que la canaille impie cessât de se méfier, il lui offrit belles grimaces et charmants sourires. Trente neuf jours durant l’homme d’église, en bon chrétien, fit celui qui avait pardonné. Il croisait Barnabé régulièrement en bord de canal, échangeait deux ou trois amabilités puis le saluait en lui souhaitant belle et bonne journée.

C’est le quarantième jour qui suivit la fête locale de la Saint Médard que la sanction divine tomba non point de la main de Dieu mais du pied gauche du curé. Alors que comme à l’habitude les deux hommes se croisèrent le long du port, le curé souleva son calot sans un mot tandis que Barnabé lui souhaitait le bon jour. Le braconnier pensa que l’ecclésiastique avait quelques soucis en tête ou bien qu’il rentrait d’une extrême onction, activité liée à sa charge qui le mettait toujours de mauvaise humeur. Il ne se méfia pas.

Il n’avait pas fait deux pas qu’il reçut dans le postérieur le plus formidable coup de pied de l’âne qui fut porté à une bourrique de son espèce. Le pêcheur se retrouva dans le canal avec gibecière et bottes. Le chat était vengé, Saint Médard respectait sa réputation tandis que Barnabé, qui ignorait tout de l’art de la natation dut sa survie à la perche tendue par un batelier. De ce jour mémorable, comme le chat échaudé, Barnabé se mit à craindre l’eau froide. Il cessa de braconner dans le canal et se contenta d’aller dans les bois du marquis.

Sataniquement sien.

 

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