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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Une soupe à la grimace

Quand Victor sort de sa coquille.

 

Il était une fois un enfant pour lequel chaque repas était une corvée, un douloureux passage obligé. Dans sa famille, la soupe était de mise, midi et soir. Quelle que soit la saison, il était impossible de déroger à ce rituel et pour son plus grand malheur, Victor n’aimait ni les potages, ni les consommés pas plus que les panades et autres minestrones. À chaque repas, la sentence tombait : « Mon coco, que ça te plaise ou non, tu mangeras ta soupe ! »

Ses parents, comme l’avaient fait avant eux leurs parents et grands-parents imposaient aux enfants de manger au moins le contenu d’une louche afin qu’ils grandissent, disaient-ils, intimement convaincus de cette maxime incontournable. Victor faisait la lippe devant son assiette quelle que soit la recette du jour : brouet liquide ou bien épais, avec ou sans vermicelle ou tapioca, froid ou bien chaud, mouillé de vin, de lait ou encore de crème,… à toutes les sauces, la chose lui restait en travers de la gorge.

Victor se souvient comme si c’était hier de ces sempiternelles disputes, de ces menaces qui mettaient en péril ses projets, de ce chantage auquel il finissait toujours par céder en lampant ce breuvage qu’il avait décrété immangeable pour le reste de sa vie. Quand il eut enfin l’âge de la révolte, il sortit de sa coquille et repoussa à jamais cette maudite soupe à la grimace qui avait terni ses années d’enfance.

Devenu jeune adulte, il avait décidé de laver l’affront, de mettre un point final à ce calvaire qui lui restait sur l’estomac. Quoiqu’il eut un profond respect pour ses géniteurs, il entendait se venger une bonne fois pour toute, leur donner une leçon qui pour inutile qu’elle puisse être après toutes ces années, lui était pourtant indispensable pour clore définitivement une profonde blessure.

Pour cela, il n’y alla pas par le dos de la cuillère. Il se souvint qu’on disait de lui qu’il était soupe au lait, qu’il finissait toujours par manger sa soupe froide et que sa soupe à la grimace ne le mènerait nulle part dans l’existence. Enfant, il n’avait jamais bien compris cette dernière expression qui dans son esprit évoquait tout autre chose. C’est ainsi que naquit cette terrible idée…

Victor se mit en quête d’informations afin de sortir enfin de cette coquille dans laquelle l’avait enfermé son traumatisme d’enfance. Il apprit ainsi que la matière principale qu’il comptait mettre dans son plat pouvait être toxique, un jeune australien en avait fait les frais. Le garçon âgé de 19 ans, grand espoir du rugby avait par défi avalé cette petite bête. Il en résultat un coma de 420 jours et le malheureux finit par en mourir après des années de paralysie.

Par contre, un canadien s’en régalait régulièrement alors que d’autres prétendaient la petite bête sans le moindre intérêt culinaire. En poussant les investigations plus loin, Victor en conclut qu’il devrait faire son propre élevage afin de contrôler la nourriture de ce gastéropode sans coquille qu’il entendait servir à ses parents nourriciers. Il opta pour la petite grise, plus aisée à entretenir selon lui.

Il lui restait maintenant à lancer l’invitation et à trouver une recette pour satisfaire son noir dessein. Il découvrit à sa grande surprise que l’animal était en vogue dans la nouvelle cuisine, qu’un chef du côté du Mans en mettait à son menu. Il s’inspira de ses conseils afin de préparer un plat des plus satisfaisants en prenant toutes les précautions nécessaires pour repousser le moindre risque sanitaire.

Il faut au préalable rincer abondamment les petites bêtes à l’eau bouillante pas plus de dix minutes pour éliminer toutes les impuretés sans trop les faire durcir cependant. Puis, après les avoir découpées dans le sens de la longueur, il convient de les passer au mixeur avec de la moutarde, de la crème fraîche et beaucoup de ciboulette. Pendant ce temps, il faut préparer un bouillon de poivrons avec quelques feuilles d’agar-agar et des tomates.

Quand le tout est prêt, mélangez intimement les deux préparations, laisser refroidir et servir froid avec un lait de coco. Cette merveilleuse entrée fut pour Victor le point d’orgue d’années de frustration. Il servit une soupe au lait et à la limace à ses parents qui furent surpris que leur cher enfant leur propose un plat qui toute son enfance, fut l’objet de douloureuses querelles.

Le pire, c’est que Victor prit à son propre piège adora ce plat et qu’il en reprit. Chacun du reste trouva la préparation délicieuse sans vraiment savoir ce qu’il mangeait. Le pauvre garçon n’osa finalement pas avouer le produit phare de sa soupe froide. Si la vengeance est un plat qui se mange froid, elle se retourne parfois contre son instigateur. Victor garda le secret et devint le grand spécialiste des menus à base de limaces. Ainsi va la vie, elle suit parfois de curieux chemins sinueux et tortueux. J’espère que nul n’ira baver sur cette aventure qui eut lieu à Loches en Indre et Loire.

Gastéropodement vôtre

à consulter avec gourmandise => https://magazine.hortus-focus.fr/blog/2018/08/30/la-limace-nouvelle-coqueluche-des-chefs-etoiles/

 

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