Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
10 Octobre 2019
« On ne l’aime pas ! »
Bien souvent mes camarades de scène s’entendent dire : « Nous aimons ce que vous faites, mais l’autre ; on ne l’aime pas ! » La sentence est rude, sans appel. Elle ne se fonde qui plus est, sur aucune précision, ni sur des faits précis. C’est tout bonnement l’incompréhension du rôle tenu qui dérange ces braves gens, si soucieux de l’opinion des élus, des décideurs, des prescripteurs de subvention, que la présence d’un persiffleur est à leurs yeux, une prise de risque trop importante.
Curieusement, les mêmes, dans la conversation courante, font partie de cette multitude qui déplore amèrement la disparition d’un Coluche ou d’un Desproges, disant alors à qui veut bien l’entendre, qu’une parole libre manque cruellement à notre époque. Loin de moi la pensée que j’égale ces géants de l’humour, je me contente de marcher à grande distance dans leurs pas, ce qui justement horrifie ces petits boutiquiers de l’opinion.
Piquer, persiffler, moquer les puissants, ce sont là les attributions du pamphlétaire, rôle ô combien nécessaire dans une société qui hésite entre deux attitudes aussi peu constructives l’une que l’autre : l’obséquiosité de componction d’un côté et l’insulte à outrance sous le couvert de l’anonymat de l’autre. Ni l’une ni l’autre n’apporte la moindre nuance et ne fournit la possibilité d’un regard distancié sur les actions de nos dirigeants.
L’humoriste au contraire joue de la subtilité ou de la charge, de la critique distanciée ou de la parodie sans se dissimuler, en cherchant à faire sourire, en s’adressant ouvertement à ces cibles. Il pointe du doigt, il ironise, il force le trait, il caricature tout simplement parce qu’il se refuse au silence, à la servitude et à ce respect hypocrite qui est le lot de ses contempteurs.
Alors, messieurs les pisse-froid, alors mesdames les outragées, vous avez tout à fait le droit d’affirmer votre détestation à mon encontre mais osez donc venir dire vos propos en face plutôt que de déverser votre venin par personne interposée. Le « Je ne vous aime pas ! » me semble bien plus utile que ce fiel à distance qui constitue votre déclaration de désamour.
Mais de grâce, ne venez plus vous plaindre en sous-main, des insuffisances de ceux qui nous gouvernent, des incohérences dans leurs décisions, des faiblesses patentes de leurs projets et parfois même de leur aspect irréalisable. Puisque devant eux, vous jouez les valets, vous vous courbez, vous leur faites belles et grandes grimaces, continuez donc en toute logique à faire de même loin d’eux.
Enfin, il est amusant que vous usiez de cette mauvaise réplique face à un camarade qui aura droit, une fois le dos tourné, à la même considération de votre part. Votre courage vous honore, votre hypocrisie vous définit à merveille. Dans le langage familier on vous traite de faux-cul, sans doute parce qu’une fois le dos tourné, votre véritable nature saute aux yeux.
Voilà, vous savez désormais que je ne suis pas dupe. Il y a cependant quelque chose qu’il faut absolument que vous intégriez : « Nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde ! » De mon côté, je me contente sincèrement de vous plaindre, de me désoler d’un comportement qui ne fera jamais avancer le moindre dossier. Vous tendez la main tout en avalant soigneusement vos pensées, prenez garde à ne pas vous étouffer.
J’attends avec impatience que vous veniez vers moi pour, une bonne fois pour toute, affirmer cette opinion qui se respecte. Les positions que j’affiche peuvent naturellement vous déplaire, vous choquer, vous déranger. C’est tout à fait recevable et même parfaitement normal puisque j’entre dans le champ de l’opinion. Osez donc la controverse et ne versez plus dans l’odieuse fourberie de ce personnage qui un jour monta sur scène pour dire à mes compagnons : « Vous venez faire une animation à ma fête, mais de grâce, venez sans l’autre ! »
L’autre vous salue bien, celui vous savez que vous n’aimez pas sans être capable de formuler en face quelques critiques étayées, des remarques accompagnées d’arguments. Je vous souhaite de progresser dans la franchise et l’art oratoire. Pour le premier volet, ne désespérons pas, pour le second, j’ai hélas beaucoup de doute. Je demeure votre humble serviteur que vous m’aimiez ou non. Merci !
Franchement vôtre.