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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Classe découverte Acte 3

Carnet de bord du conteur

Le petit matin suivant se fit bruineux, une de ces pluies fines qui détrempent tout et interdisent de rouler avec des enfants d’autant que la fatigue se fait présente et que leurs protections imperméables ne sont pas toutes opérationnelles. Il fut donc décider de rester une matinée au calme pour rattraper le retard de travail scolaire.

Le compte-rendu s’impose et demande un grand savoir-faire. Que raconter ? Faut-il laisser la plus grande part au factuel comme ils en auraient tendance ou bien se laisser porter par des anecdotes, des instants plus cocasses, personnels, spécifiques en tout cas à cette aventure qu’ils partagent ? Un tableau pourra parfaitement donner les grandes lignes et l’écrit s’attacher à ce qui fera récit ultérieurement. Ceci n’est pas simple à comprendre d’autant plus quand l’écrit se dresse face à son envie de raconter.

Se pose ensuite le délicat problème de la syntaxe, de la forme, de l’incontournable orthographe. Il s’agit alors de donner des pistes pour parfaire le récit tout en ne brimant jamais l’élan de l’enfant, lui offrir des solutions afin que sa narration devienne agréable aux lecteurs. C’est en agissant avec tact, en montrant les possibles sans jamais imposer, que l’enfant peut être touché par le plaisir incomparable de l’écriture.

Une élève m’apporte sa production, très fière. Elle me demande de la lire, me disant que c’est un poème. Elle évoque des choses très personnelles, son rapport à l’éloignement de ses parents durant ce séjour et sa fierté de dépasser ce manque pour vivre cette aventure. Nulle rime, ni forme qui puisse évoquer la poésie. Je devine qu’elle a compris la valeur de sa production sans pour autant savoir comme la désigner. Je la félicite et tout en l’interrogeant, je lui fais comprendre qu’elle a mis dans ce texte des sentiments, beaucoup d’elle-même. Nous nous mettons d’accord sur Confidences pour ce qui relève du journal intime. Elle est plus fière encore.

Une autre m’appelle pour trouver un substitut à se verbe « Faire » qui supplée par trop souvent à l’absence de verbes plus précis. Nous finissons par trouver une forme plus adéquate. Elle veut effacer sa phrase, la couvrir de blanc pour écrire par dessus, la nouvelle formulation. Comment lui faire comprendre que l’erreur est une étape indispensable de l’apprentissage, que sa présence demeure source de progrès tandis que son élimination ne permet plus de se souvenir ?

Un débat s’instaure. L’esthétique joue un rôle non négligeable dans ce désir illusoire de perfection. Puis, par le jeu du récit je la transporte dans le temps futur. Je lui lis sa phrase parfaite, sans la maladresse préalable. Je reprends ensuite la forme corrigée tout en disant : « Tiens, j’avais écrit, j’ai fait du vélo... ! », « Pourquoi ai-je rayé ce « Faire  ?» « Mais oui, c’est vrai, c’est le conteur qui nous demandait d’éviter le plus possible de l’utiliser ». C’est ainsi que le souvenir demeure opérationnel.

La pluie nous laissant du répit, une séance d’initiation au golf fut possible. Le convoi des cyclistes intrépides se reforma pour quelques kilomètres. Des gilets jaunes envahissaient un espace qui ne leur était pas familier. Un moniteur sut parfaitement les prendre en main, leur donner des bases suffisantes pour que par petits groupes, les élèves se lancent sur quatre ou cinq trous du parcours d’initiation. Ce fut une belle réussite, interrompue brutalement par la colère du ciel.

Nous nous réfugiâmes dans le club house de ce Golf. Des habitués, interloqués, m’interrogèrent sur notre présence en ce lieu. « Ces enfants ne devraient-ils pas être à l’école ? » Au début de la conversation je devinai un brin d’ironie ou de condescendance chez l’un d’eux. Les autres voulaient savoir. Rapidement, avec l’évocation du programme, ils devinrent admiratifs y compris l’homme piquant du début. Effectivement, il est possible de vivre l’école autrement. Il serait bon que les autorités en soient convaincues elles-aussi.

Une nouvelle journée nous attendait, point d’orgue du séjour au Ciran puisque les plus petits de la maternelle nous rejoignaient en car. Dans l’esprit coopératif cher à la maison, des groupes étaient constitués mêlant tous les âges. Le matin, un adulte accompagna le groupe afin que le trajet soit repéré au moins des plus grands puis l’après-midi, il servait de support à des épreuves en pleine nature. Lors des deux voyages, un individu, perdu au milieu des bois, racontait des sornettes aux enfants autour du loup puis d’un chat dans la gorge !

Des parents avaient suivi le car pour partager cette journée en plein air, prendre en charge un petit groupe, faire mieux connaissance avec les accompagnateurs de leurs enfants. Ils purent mesurer l’investissement de chacun et la somme considérable d’efforts qu’il convient de fédérer pour réaliser une telle prouesse pédagogique et humaine.

En fin d’après-midi, le car reconduisait à Saint Père-sur-Loire les enfants de la maternelle jusqu’au niveau CE1. Ne restaient plus que les plus grands pour une semaine d’errance en bord de Loire et en forêt d’Orléans. Il y eut beaucoup de larmes et d’émotion. Des parents qui avaient accompagné la première semaine s’en allaient eux-aussi à regrets tandis que les chérubins avaient les yeux brillants.

Toute cette émotion se traduisit par un compte rendu écrit avec deux élèves réputés pour leur peu de goût pour la chose scolaire. Par le dialogue, le travail en commun, les bienveillants conseils, un texte simple mais ô combien touchant se termina par la formule totalement née de l’imagination de l’un d’eux: « J’ai écrit ce compte rendu à l’encre de mes larmes ! » Il n’en fallait pas plus pour que le séjour fut une réussite.

Le repas se terminait, les plus grands réclamèrent une histoire. Le pli était pris, l’enfance sans écran retrouvait ses droits. Quel bonheur de voir des yeux écarquillés, le sourire naïf tout en entendant ce « Merci » qui n’est pas aussi naturel que nous le voudrions. Ils se couchèrent avec en ligne de mire un déplacement le lendemain pour la grande ville…

à suivre désormais au fil de la Loire

 

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K
Bonjour Nabum,<br /> <br /> Ce fut une belle et noble expérience humaine, et vos récits m'ont régalé d'un festin nostalgique entremêlé d'espérance ; car je rejoins de plus en plus votre opinion sur les écrans : ceux-ci propagent et dégagent le plus souvent un individualisme médiocre.<br /> L'enfance sans écran qui retrouve ses droits, c'est la vie qui recouvre à nouveau son sens.<br /> Bravo à vous tous, et merci pour ce partage....
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C
L'ami<br /> <br /> Nous voilà enfin d'accord sur un point<br /> <br /> Les écrans sont à la fois une merveille quant ils permettent de s'émanciper mais deviennent rapidement un objet d'aliénation et d'abrutissement<br /> <br /> Le second choix a été fait par ceux qui dirigent le monde tout en prenant la précaution de ne pas y laisser sombrer leurs propres enfants