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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La pêche à la carpe.

Journal d’un béotien

La pêche à la carpe.

Au fil de l'eau


 

C’est fort tôt le matin que l’on vint me chercher pour témoigner d’une aventure peu ordinaire pour moi, une journée à la pêche à la carpe. Les deux jours précédents, mon guide avait fait le trajet seul afin de préparer le spot en langage carpiste. Des bouillettes à base de foie de poulet, de coquilles d’huîtres d’un diamètre de 14 millimètres, achetées dans le commerce, furent lancées avec une précision relevant de l’art cabalistique.

Le véhicule, un gros break, est plein comme un œuf. J’ai tout juste la place d’y poser mon sac à dos contenant l’ordinateur, afin de décrire l’expédition. Naturellement, le ravitaillement prend une petite place, bien peu en rapport avec l’incroyable attirail du pêcheur. Arrivés sur place, le déchargement nécessite ordre et précision. Le matériel est fort onéreux, il convient de le traiter avec soin. On me prie ainsi de ne rien faire, ma réputation semble m’avoir précédé.

Le premier souci du pêcheur est de déplier la brouette : un chariot pliable capable de transporter le mètre cube et demi de barda. Le « Fer à Cheval » : ce trou de Loire, profond et à l’abri d’un courant violent, est ?idéal pour l’activité qui nous conduit ici. Il convient de laisser le véhicule à distance, rien n’est plus désagréable pour le promeneur que ces voitures garées juste en bord de rivière pour le seul confort de son propriétaire.

L’ordonnancement est donc une fois encore un souci essentiel. Chaque chose a sa place afin que la brouette soit aussi équilibrée que possible afin que le trajet à bras ne soit pas trop pénible. Le chargement pèse un âne mort : 90 kg, excusez du peu. Le sentier est mal commode, le pousseur marche vite, histoire de conserver la dynamique qui brise l’inertie. Pourtant, je ne comprends pas pourquoi, ne portant que les bouteilles que l’on m’a confiées, je ne parviens pas à suivre ce jeune homme …

C’est au moment de l’installation que je découvre le contenu de cet incroyable capharnaüm. C’est tout d’abord l’abri qui est monté ; le ciel impose cette précaution qui peut s’avérer indispensable. C’est un parapluie tente, fixé au sol, posé sur deux pieds d’un mètre de haut. À l’intérieur, une protection parfaite, à la fois en cas de pluie, mais aussi contre le vent.

Un fauteuil pliant, d’une ergonomie parfaite est ensuite déplié. C’est pour votre serviteur, afin que je puisse décrire dans de bonnes conditions la suite des opérations. Un support deux cannes est monté au bord de l’eau. Ce modèle est à trépied, afin de n’avoir pas à le planter dans le sol. Il peut être dur, ce qui par cette sécheresse est d’ailleurs le cas. Une première ligne est installée.

Le lancer nécessite une grande précision. Au préalable, le pêcheur avait sondé le fond l’avant veille à l’aide d’un marqueur-sondeur. Il a utilisé pour cela une canne à amorcer équipée d’un dispositif d’ouverture au contact de l’eau pour libérer les appâts. Le moulinet est équipé d’un clip-fil afin d’arrêter son déroulé à la distance exacte. Cette mesure sera reportée sur les deux cannes de pêche. Du grand art !

Une première ligne est tendue, puis le réchaud est mis en place : un petit café sera le bienvenu. Le poste de radio nous tient compagnie, le mythe de l’activité totalement silencieuse tombe ainsi. Mon pêcheur m’avoue que c’est pour suivre les nuits de pêche, les soirées de football. Je ne vais pas lui en tenir rigueur.

Nouvelle activité : la préparation de chaussettes solubles. C’est un petit filet soluble qui contient un appât qui, totalement solidaire de l’esche, va se dissoudre exactement à l’endroit piégé. C’est la cerise sur le gâteau pour la carpe, poisson redoutablement intelligent qui exige mille et une feintes pour la leurrer.

L’amorçage ne doit d’ailleurs rien au hasard. Il convient de le précéder d’une fine observation du comportement de l’animal. Notre homme a repéré ses déplacements, connaît la forme du fond en cet endroit, a recherché une faille dans laquelle la bête cherche sa nourriture. Il sait comment elle réagit en fonction du vent et de la température. Le carpiste est avant tout un fin connaisseur de sa camarade avec laquelle il aime à jouer au chat et à la souris.

Cinq filets sont ainsi envoyés. Ils tombent tous au même endroit. Le geste est à chaque fois identique. Un petit mouvement vers la rive, termine la trajectoire du jet. La précision est essentielle, il convient de ne pas disperser les friandises tout en balayant une petite surface déterminée au préalable. C’est la partie du chenal à l’écart des turbulences qui est ainsi visée.

Cela fait plus d’une heure que nous sommes sur zone. L’installation n’est pas encore achevée. C’est un vrai travail d'orfèvrerie. La seconde ligne est alors mise en action elle aussi. Tous les travaux préparatoire étant achevés, le support est équipé d’un système électronique de contrôle. J’étais justement en train d’écrire ces quelques mots, interrogeant le pêcheur sur le fonctionnement de son système quand celui-ci se saisit de la canne. C’est parti me dit-il !

Le combat sera assez rapide. La technique de mon professeur est remarquable. L’épuisette est large, elle est installée depuis le début, signe d’une grande confiance de l’homme de l’art. Je délaisse l’ordinateur pour tenir l’engin dans l’eau. Je n’ai rien à faire d’autre, la carpe est délicatement conduite jusqu’à moi. De l’épuisette, l’animal se retrouve dans le tapis de réception, dispositif obligatoire afin de la remettre à l’eau dans des conditions optimales. En agissant ainsi, le risque de blesser la prise est quasiment nul. Des carpes peuvent être prises jusqu’à une vingtaine de fois dans certains plans d’eau, preuve qu’elles ne risquent rien quand on fait cela dans les règles, m’explique le pêcheur.
 

 

La pêche à la carpe.

Cette fois nous prenons le temps de boire un café puis de mettre en fonctionnement le système des indicateurs de touche. C’est un boîtier électronique qui fonctionne à piles. La vibration du fil sur un palpeur produit un son aigrelet, susceptible de réveiller le pêcheur quand il dort. Un écureuil, un câble avec une tête sensible sert de contre-poids quand la ligne se détend dans le cas où le poisson au lieu de s’éloigner du pêcheur, se rapproche de lui. La baisse de tension est ainsi détectée par ce système et déclenche elle aussi le signal sonore.

Nous avons l’occasion de l’entendre rapidement. Une nouvelle prise qui se laisse rapidement ramener au bord. Cette fois c’est une brème, poisson peu prisé par notre pêcheur car de peu de défense. L’animal est promptement décroché et remis à l’eau sans même avoir recours à l’épuisette et au tapis protecteur. L’attente reprend son cours. Le soleil s’est levé, la vie reprend ses droits. Au loin, des engins de chantier se mettent en branle.

Il est neuf heures, nous sommes debout depuis bientôt quatre heures, il est temps de casser la croûte, histoire de montrer le chemin aux ciprénidés tout autant que de se protéger du petit vent frais qui nous enveloppe. Un Crozes l’Hermitage permet de jouer du bouchon, un geste naturel chez ceux qui taquinent le poisson. Sur le réchaud, un poêle sert de réceptacle à des foies de volaille aux morilles. Je sens parvenir jusqu’à mon poste de rédacteur les douces effluves de ce plat qui va m’ouvrir l’appétit bien plus vite qu’il ne faut pour l’écrire. Le carpiste est un pécheur quelle qu’en soit l’orthographe …

Détail important qui semble échapper à quelques-uns de ses collègues, notre homme a commencé par accrocher un sac poubelle à sa brouette. Il laissera la place aussi propre qu’il l’a trouvée en arrivant et même un peu plus, car il a dû suppléer à quelques promeneurs indélicats, pêcheurs ou badauds qui aiment à souiller les lieux de leurs pérégrinations. Il y a de quoi désespérer de l’espèce humaine, parfois.

9 h 45, nouvelle prise : un beau rotengle. L’animal porte des marques d’une attaque récente, un silure est venu lui chercher noise. Ce gros poisson vorace est une plaie tant son comportement nuit à l’équilibre du milieu. C’est l’occasion d’évoquer le comportement de la carpe, intelligente et toujours en mouvement, elle est capable de déjouer les pièges du pêcheur. À l’opposé, l’esturgeon est d’une sottise absolue, il est si vorace qu’il se laisse prendre au moindre leurre. Il y a donc une hiérarchie dans les profondeurs. J’en apprends beaucoup.

Une heure sans qu’il ne se soit rien passé. Le temps est venu des doutes et des interrogations. Mon ami décide de changer de leurre. Il remonte ses deux cannes, change l’une des deux bouillettes. Sur une ligne, il proposera un assemblage de deux boules, l’une marron et l’autre rose tandis que l’autre canne recevra un assortiment marron et blanc. Des chaussettes solubles accompagnent ce changement de stratégie. J’ai pu voir à quel point l’assemblage est astucieux. Une aiguille à cet usage, un cheveu avec une boucle, un stop bouillette en plastique permettent la fixation de ces deux boules légèrement plus grosses que nos billes d’autrefois (14 millimètres de diamètre). Un autre café s’impose, le vent se faisant plus fort.

Nouvelle alerte sur le cocktail marron blanc. L’attaque semble franche. L’indicateur s’emballe très vite puis plus rien. Le pêcheur se lève pour relever la ligne. Mauvaise surprise, sous le plomb, il n’y a plus rien. Selon toute évidence, le poisson massif a brisé net le fil. Il convient maintenant de remonter une ligne tandis qu’arrive sur ces entre-faits Laurent Valette, pêcheur professionnel, auteur récemment de « Une vie de pêcheurs de carpes » chez média-copie. Je l’interpelle en lui soufflant que la lecture de son livre m’a poussé à écrire un conte : « Il suffit de réfléchir ».

La suite fut sans histoire. Les poissons se réservant sans doute le droit de bouder les esches tandis que les visiteurs se succédèrent pour venir casser une croûte avec nous autres. Seuls les humains mangèrent, de bon cœur et avec force appétit d’autant plus qu’un merveilleux vin de Cheverny, un Point Nommé de chez Tessier fit l’admiration de tous. La pêche a beau se passer dans l’eau, le vin a toute sa place pourvu que l’on sache garder la ligne.

Nouvelle alerte et nouvelle déception. Encore un rotengle ! L’eau se couvre de rides, le vent contraire au courant provoque des vagues sur la rivière. Il devrait pourtant être favorable aux espérances du pêcheur. Pour l’heure, l’attente est infructueuse. Le départ en fanfare, comme il le redoutait ne présageait rien de bon. Fort heureusement, nous avons bien vécu jusque là.

S’il ne se passe rien sur le front de l’eau, de la terre surgissent de ci de là quelques promeneurs. Parmi eux, un homme passe plus d’une heure à converser avec nous. Ancien pêcheur, il nous raconte comment il a attrapé le virus alors qu’il était d’âge collège. Il évoque ses premières carpes, les techniques d’alors qui feraient sourire aujourd’hui. Il parle de l’évolution du matériel, comment lui aussi est tombé dans la spirale à l’armement. Puis, écœuré, lassé par tant de désagréments, il est passé à la photographie animalière. Un homme sage, devenu végétarien, sans illusion sur les politiques et leur fausses promesses environnementales. Une belle rencontre à défaut d’une nouvelle prise.

Une heure plus tard, l’homme qui se prénomme Claude est toujours là. La conversation a pris une tournure technique qui me laisse sur le côté. J’entends évoquer les hameçons avec ou sans ardillons, des ardillons simples, doubles et même triples. Il est encore question d’une bombe pour faciliter la cicatrisation des poissons et autres subtilités halieutiques dont je n’entends rien. Manifestement, le pêcheur inoccupé doit disposer de sujets afin de tuer le temps quand le poisson boude !

Douze heures à poste. Je renonce, j’abandonne la partie et mon compagnon, profitant d’une voiture pour rentrer peaufiner le texte. Je n’avais plus de batterie. J’ai besoin de m’activer un peu. Je pense ne pas être capable d’attendre ainsi toute une journée derrière deux cannes qui demeurent muettes. J’aurais trouvé le temps moins long avec une perche de bambou à surveiller un bouchon qui aurait pu s’enfoncer quelques fois. Décidément, voilà une activité qui n’est guère faite pour moi, elle demande une bien trop grande technicité et une patience d’ange moi qui préfère tirer le diable par l’aqueux.

Je n’étais pas si tôt rentré que je recevais un message. Mon camarade signifiait que juste après mon départ, il avait pris une pièce de 15 kilogrammes. Sa vertu était récompensée. Quant à moi, je n’étais manifestement pas fait pour ce genre de pratique. Je resterais béotien en la matière ce qui loin de me chagriner, m’arrange quelque peu. Ni le lapin ni la carpe n’ont donc à craindre de moi en dépit de monsieur Thierry Coste et de ses amis de l’Élysée.

Impatiemment sien.

La pêche à la carpe.
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