Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
29 Août 2018
Un duo dans le vent.
Père et fille
Le temps a tourné, le vent s’est invité en cette fin de soirée alors que nous nous étions tous habitués à la douceur des fins de journée d’un été en pente douce. Il fait presque froid, le ciel est gris, lourd de quelques menaces qui; fort heureusement, ne se réaliseront pas. Les promeneurs ne sont pas habillés en conséquence, il fait froid en bord de Loire.
Pourtant, à la Paillote, des curieux, des mélomanes et de simples béotiens se sont regroupés en un cercle serré autour d’une petite estrade. Chacun se préserve comme il peut des rafales. Tous ont décidé de braver le vent de Galarne pour écouter Nano et sa fille qui vont former pour la première fois, en public, un duo accordéon violon.
Les deux artistes arrivent. Arnaud Méthivier prend la parole : il explique l’aventure de cet espace qu’il a créé, sa Paillotte, qu’il veut être une espace dédié à l’ouverture culturelle sur toutes les formes possibles de l’expression artistique. Ce diable de bonhomme s’y entend du reste, lui qui est le fondateur de la fête des Duits, une féerie inclassable où danseurs, poètes, musiciens, plasticiens, conteurs, chanteurs se retrouvent sur une île de Loire à la végétation exubérante, à l’image de ce merveilleux délire, tout comme le créateur d’une société de production. (La fête des duits se veut le rassemblement d'humains qui se fédèrent autour de créations artistiques pluridisciplinaires, contemporaines et expérimentales.)
Sa fille est drapée dans une longue robe, pieds nus, cheveux longs, elle parait toute timide, impressionnée sans doute de se retrouver là en compagnie d’un père qui écume les scènes du monde entier. Contraste saisissant entre l’accordéoniste exalté, musicien au parcours délicatement délirant et cette jeune fille, fragile peut-être, inquiète sans aucun doute, se lovant contre son violon pour se sentir en confiance.
Les incontournables propos liminaires du maître de séant laissent vite la place aux premières notes. Nano se bat avec son accordéon, un combat singulier, un jeu plus qu’une bataille, un mouvement erratique, fait de saccades et de secousses. Son accordéon souffle, gémit, geint, pleure en de longues plaintes asthmatiques. Il est le plus souvent comme en apnée, nous entraînant frénétiquement dans des rythmes syncopés, constitués de légères dissonances.
Pour rétablir l’équilibre, le violon murmure, vient faire le contre point de l’exaltation paternelle. Parfois, aux borborygmes de son père, Anna oppose de tendres mélodies cristallines. C’est ainsi que nous sommes tous plongés dans un univers étrange et envoûtant. Les compositions de Nano évoque immanquablement le cinéma noir, les films d’espionnage. Le vent tempétueux ajoute lui aussi à ce sentiment d’étrangeté qui plane sur le quai de Prague. Nous nous attendons à voir surgir des espions soviétiques, un chapeau de feutre enfoncé sur une tête dissimulée derrière des lunettes fumées …
Parfois, une rupture s’impose, une autre approche de l’accordéon provoque alors un temps suspendu, une mélodie en apesanteur. L’émotion est alors à son comble. Une femme pleure, c’est la grand-mère de la violoniste, submergée par ce qui se trame là. Les spectateurs ne sont pas loin de l’imiter. La mélodie est simplement magique, céleste. On se surprend à fredonner intérieurement. Il y a une joie étrange faite de retenue, d’admiration dans un silence presque mystique.
Curieusement, les murmures qui proviennent de la buvette toute proche, ne sont pas parasites, ils ponctuent l’ambiance, participent de ce climat de cinémascope. Le froid n’a plus prise sur les spectateurs. Les flammes d’un brasero ne sont pas responsables de ce phénomène. La chaleur est intérieure. Chacun est subjugué par ce concert, par le talent des deux artistes, par leur posture également avec cette communion extatique à laquelle nous sommes conviés.
Nous avons dégusté une musique venue d’ailleurs, quelques instants d’éternité. Lorsque le concert s’achève, dans les yeux des privilégiés que nous sommes, une petite lueur ne trompe pas. Nous avons vécu un moment exceptionnel, un de ces instants hors de nos contingences habituelles. Les mots sont alors de piètres compagnons pour vous offrir ce partage. Je n’ai cependant qu’eux à ma disposition pour vous redonner vie à cette bulle de bonheur. Merci à la Paillote et à ces deux artistes D’autres, comme souvent désormais, ont filmé. Réussiront-ils quant à eux, à ressusciter par ces images dérobées la fulgurance de la scène ?
Magiquement leur.
Photographies de Christelle Méthivier