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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Garonne avance !

Un simple pressentiment …

Garonne avance !

Intuition féminine ?

 

 

Il n’est pas que les ligériens à disposer ainsi d’une relation intime, quasiment viscérale avec leur rivière. Il en est de même pour beaucoup de ces gens qui vivent au bord de l’eau, aiment à regarder les fluctuations du niveau, les variations des couleurs, les humeurs de celle qui passe devant chez eux. Les terriens ne comprendront sans doute pas cet attachement curieux qui ne peut s’expliquer. Nous sommes pourtant très nombreux à parler, à nous confier, à éprouver la nécessité vitale de nous ressourcer auprès de cette étendue liquide qui court, respire, change au gré de ses humeurs.

L’histoire que l’on m'a confié atteste combien ce lien est profond, énigmatique sans doute et d’une puissance qui échappe à l’analyse. C’est ainsi, que venant d’Italie, cette femme s’était prise de passion pour Garonne qui passait devant elle, à Saint Aignan, en face de Castelsarrasin. Elle l’appelait ainsi que font tous les gens de ce pays, les natifs de l’endroit qui depuis toujours se passent d’un article, qu’importe s’il est ? défini ou indéfini, pour évoquer la dame.

Rose avait attrapé le virus. Elle regardait chaque jour la rivière, l’examinait attentivement, la contemplait, trouvant sans doute en elle des reflets qui évoquaient un autre fleuve de son enfance, le Piave, en Vénitie. Petit à petit cependant, l’admiration s’estompa, elle changea d’attitude vis à vis de sa proche voisine. Ce fut d’abord un pressentiment, une curieuse idée qui au début ne se fondait sur aucun élément tangible.

Puis au fil de temps, l’italienne comme la nommait encore les gens d’ici, se mit à redouter Garonne. Elle me fait peur, je la crains désormais, je sens peser sur moi et les miens une lourde et sourde menace. On riait d’elle, elle s’en moquait et répétait à qui voulait bien l’entendre : « Prenez garde, Garonne avance ! »

Son mari, Louis et ses voisins souriaient de ce qu’ils prenaient pour une lubie. Ils avaient beau la regarder du coin de l’œil, ils ne voyaient rien qui puissent corroborer cette affirmation. Il est vrai qu’une rivière change fréquemment, que ses variations de niveau ne peuvent en rien exprimer un tel bouleversement. Et pourtant la femme de répéter inlassablement : « Garonne avance ! »

La maisonnette était placée dans une courbe de la rivière. Dans la partie qui, au fil du temps, s’érode et se creuse. Les géographes dans leur langage diraient la partie concave du fleuve, eux qui aiment mettre des mots savants et des distinctions entre les cours d’eau. La femme n’en avait cure, à sa manière très animale elle sentait en elle comme une menace qui s’imposait.

Son mari finit par l’écouter. Il prit des mesures, observa plus attentivement la rive qui subissait sans cesse, inlassablement, une lente et insidieuse érosion. Il finit par remarquer de petites variations, un lent grignotage de la berge, un creusement qui s’amplifiait au fil du temps. Devant l’insistante rengaine de son épouse, il finit par céder. Ils déménagèrent, l’homme ne voulant plus voir sa femme souffrir d’une telle névrose.

Ils quittèrent leur maison en novembre 1951. Bien leur en prit car quelques mois plus tard, en février 1952, une crue violente fut à déplorer. Elle atteignit son paroxysme le 6 février. La fameuse berge qui effrayait tant la femme, sous les coups de boutoir de la Garonne finit par céder. La terre s’effondra, les eaux gagnèrent la partie, la berge disparut dans les flots tumultueux et la maison fut engloutie.

Heureusement elle était vide. La famille était à l’abri, loin de cette courbe qui avait été mangée lentement par le travail de la rivière. La femme avait senti venir la catastrophe. Elle en avait eu la prescience. Quand elle déclarait : « Garonne avance » c’était une vision, un message que lui avait transmis la rivière tout autant que ses observations attentives.

Si vous êtes riverain d’un cours d’eau, soyez attentif vous aussi. Il convient de l’examiner avec soin, d’en sentir les variations, les changements, les indices qui peuvent venir d’une multitude d’éléments, pas tous rationnels loin s’en faut. Les animaux, mieux que les humains sans doute, sentent ce genre de chose. Ne mésestimez jamais ce langage qui échappe à la science établie. Il se peut qu’un jour vous aussi, vous ayez envie de dire, sans trop savoir pourquoi « Garonne avance! ». N’attendez pas qu’il soit trop tard, prenez ce pressentiment au sérieux.

Avertissement vôtre.

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