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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La leçon de survie.

Péché à moitié pardonné.

La leçon de survie.

Pauvre Nono.

 

Il était une fois un brave garçon connu de tous sous le sobriquet peu flatteur de Nono. Il est vrai qu’il devait ce diminutif à la taille supposée de son cerveau. Dans notre pays, on désigne les innocents, les simplets, les ingénus, les bredins ou les « bazins » de ce terme qui finalement n’est pas si méchant qu’il n’y parait. C’est sans doute une manière de se moquer aimablement d’eux tout en leur donnant une place dans la communauté du village.

Nono avait toujours entendu dire par son grand-père qu’il ne sert à rien de donner à manger à quelqu’un qui vous réclame sa pitance mais que tout au contraire, il est préférable de lui expliquer comment se procurer de la nourriture. Le conseil pour excellent qu’il soit supposait d’être en posture de le mettre en action.

Notre ami le gentil Nono, un jour croisa un mendiant ou plus exactement un pauvre ère à bout de force au terme sans doute d’une vie pénible faite de privations multiples. L’homme, d’une voix presque inaudible lui réclama à manger. Comme Nono était en bord de rivière, il lui expliqua qu’il avait mieux à faire et qu’il comptait lui rendre bien plus service en lui apprenant à pêcher.

Devant le regard ahuri du vagabond, notre gentil « bazin » demanda à l’homme qui tenait tout juste sur ses jambes de l’accompagner dans une bambouseraie, fort heureusement toute proche de là pour être capable la prochaine fois de faire tout ça tout seul. Nono prit son couteau et coupa un bambou solide. Notre brave crétin, afin que le pauvre vieux soit autonome la fois prochaine lui expliquait en détail tout ce qu’il faisait. C’est ainsi qu’il entreprit d’effeuiller la tige puis fit un feu de bois pour brûler la surface du bambou afin de le rendre plus solide. Ceci prit pas mal de temps, les forces de l’homme déclinaient à vue d’œil et la faim le tenaillait terriblement.

Notre brave solognot parlait, expliquait, donnait moult détails à ce trimard qui avait tout juste la force de l’écouter. La première étape était terminée. Notre ballot céleste, lui avait déjà consacré une bonne matinée et une bonne partie de l’après-midi. Le travail était loin d’être achevé. C’est alors qu’il le soutint pour revenir en bord de rivière, là où celui qui avait faim, pourrait avec un peu de patience encore, prendre de quoi se nourrir prochainement.

Il y avait là des orties, une merveilleuse plante susceptible d’apporter toute l’énergie qui eut pu requinquer le clochard. Nono, tout à sa volonté pédagogique entreprit de cueillir des orties dont il ne garda que les tiges sans songer un seul instant que les feuilles eurent pu être salvatrices. Il expliqua à l’homme qu’il fallait les laisser sécher dehors durant 24 heures.

Fort de cette impérieuse nécessité opératoire, Nono s’en alla chez lui pour ne revenir qu’un jour plus tard. Le malheureux, qu’il avait laissé là, couché dans un fossé, était au plus mal mais ce maudit cornichon ne semblait pas le remarquer, tout à son envie de lui rendre véritablement service. Nono, prit d’une fièvre de transmission lui expliqua en détail, comment écraser les tiges d’orties afin d’en récupérer de fines lanières débarrassées de la sève. Avec trois brins de longueurs identiques, il convient ensuite de commencer le tressage et d’y ajouter autant de trio de brins nécessaires afin d’obtenir une corde de même longueur que la canne de bambou.

Nono sollicita le pauvre homme à bout de patience tout autant que d’énergie vitale. Le tressage terminé, il se mit en quête d’une épingle pour en faire un hameçon rudimentaire. Son élève ne semblait plus en mesure de l’écouter, il avait fermé les yeux et dormait d’une respiration lourde et irrégulière. La nuit était tombée. Nono sachant qu’il était interdit de pêcher après le coucher du soleil, laissa dormir son compagnon et ne le réveilla qu’au matin suivant afin de lui montrer comment attacher le fil d’ortie à la canne d’un côté tandis qu’il y fixait l’épingle recourbée à l’autre bout.

Ensuite de quoi, il lui enseigna encore la manière de trouver un ver blanc : un porte bois, dans un morceau de bois flottant en bord de rivière. Le pauvre bougre n’en avait cure, il ne voyait vraiment pas ce que voulait lui expliquer ce maudit bavard qui refusait obstinément de lui donner ne serait-ce qu’un morceau de pain. Enfin, après plus de quarante-huit d’heures de palabres et de conseils, Nono plongea sa ligne rudimentaire dans la rivière et bien vite en tira une belle perche franche. Il se retourna fièrement vers le chemineux qui avait perdu connaissance. Il entreprit de faire un feu de bois pour lui cuire le délicieux poisson. Quand la perche fut prête, il tenta de réveiller le bonhomme, en vain hélas, il n’avait pas survécu à sa trop longue leçon de survie fluviale.

Nono en fut vraiment contrarié, se plaignant de l’incroyable ingratitude du défunt, incapable de profiter de son enseignement et le mettant volontairement dans l’embarras. Voilà ce que c’est de vouloir rendre service, maugréa notre brave imbécile. Maintenant, il s’interrogeait sur le sort qu’il convenait de donner à ce corps bien encombrant. Il craignait qu’on lui attribue la mort de cet homme, dont il ne connaissait même pas le nom. Qu’allait-il faire de lui ? Le plus raisonnable pour l’esprit limité du simplet était de jeter dans la rivière ce cadavre fluet, lesté de quelques grosses pierres afin de ne pas le voir remonter à la surface.

Le Bienheureux ballot ne voyait jamais plus loin que le bout de son nez. Il agissait sans jamais mesurer les conséquences de ses actes ni même sans en percevoir les implications. Il fit comme il l’avait immédiatement envisagé sans le moindre état d’âme. C’est là, le privilège de son état et c’est sans mauvaise conscience qu’il jeta l’inconnu à la rivière et s’en retourna chez lui, sans le plus petit scrupule.

Les jours passèrent, Nono avait effacé presque de sa mémoire ce souvenir qui n’était même pas désagréable pour lui. Jamais il n’avait ressenti la culpabilité, il agissait comme son humeur le lui dictait et il demeurait ainsi le plus heureux des berlauds. Puis, Nono en bon pêcheur qu’il était se rendit compte que les écrevisses et les anguilles pullulaient là où il avait le vague souvenir d’avoir croisé un homme qui avait faim ...

Il fit des pêches miraculeuses. Bon bougre, Nono offrit ses prises à tout le voisinage, il y en avait tant qu’il ne savait qu’en faire. Il était réputé pour sa débrouillardise dans ce domaine particulier, lui qui par ailleurs n’était pas connu pour être futé. Il fut accueilli à bras ouverts, certains même le convièrent à leur table. Tous les habitants du pays mangèrent cette année-là des anguilles en matelote et des écrevisses à la nage.

Un jour pourtant, la rivière étant bien basse, un promeneur découvrit un cadavre en décomposition. Il comprit à quelques détails, que le malheureux avait été jeté là, avec des pierres accrochées de manière grossière, afin qu’il reste au fond. Il se douta du responsable quand il vit Nono, venir mettre ses balances et tendre ses lignes de fond, en dépit de la présence de ce corps qu’il ne pouvait ne pas voir. L’homme en fit part au garde-champêtre, l’un de ceux qui avait profité le plus de la pêche miraculeuse de Nono.

Le représentant de la maréchaussée, fort embarrassé, mena son enquête, interrogea Nono qui sans le moindre remords ni la plus petite marque de regret, narra tant bien que mal les quelques bribes de cette histoire qui lui revenaient en mémoire. Le fonctionnaire référa de ses investigations au conseil municipal au grand complet, tous avaient profité de la généreuse récolte de Nono. On comprit bien vite que le noyé n’était pas du pays, que personne ne le connaissait. Comme péché à moitié avoué est pardonné, on ferma les yeux sur la chose, on décida de faire un dernier gueuleton avant que de retirer le cadavre de l’eau.

C’est ainsi que se passent les choses en bord de rivière, l’eau coule sous les ponts et personne ne peut tenir grief à celui qui n’a pas toute sa tête. On mangea moins d’anguilles à partir de ce jour-là et personne ne vint jamais sans plaindre. Que ceux qui viendraient à penser que je pousse le bouchon trop loin se rassure, les lignes de fond en sont dépourvues. Et si jamais ils n’ont rien pêché, je suis tout disposé à demander à Nono de leur donner une leçon de survie !

Imbécilement sien.

 

La leçon de survie.
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