Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
27 Octobre 2017
Des carottes dans tes chaussons !
Le matin, la petite fille va rendre une nouvelle visite à sa grand-mère tandis que son collègue se lance dans la rédaction du journal de bord. Le temps passe vite, elle revient alors qu’il termine tout juste le billet précédent. Il la devine radieuse, retrouver son aïeule a été véritablement un bonheur qui lui a redonné énergie et joie. Elle porte sur elle ce bonheur simple d’avoir retrouvé ses racines.
Nicole les a conviés à un repas de galettes. La dame s’est affairée la veille, elle a préparé des galettes de sarrasin pour partager avec eux un moment autour de la tradition et de la convivialité. Les conversations tournent sur ce que les cartes ont posé comme interrogation. Leur amie est curieuse, elle a sa petite idée sur ce qui serait bien pour Nadine. C’est amusant de voir ainsi la cartomancienne devenir conseillère familiale.
Puis la météo clémente va leur autoriser enfin l’escapade sur la côte sauvage. Un paysage tourmenté, déchiqueté, voué aux rochers et aux vagues, aux ressacs et à la houle. C’est beau tout autant qu’inquiétant, une puissance qui fascine tout en forçant l’admiration et la crainte. Oui, cet endroit est porteur d’une majesté que rien ne devrait venir troubler.
Pourtant l’histoire est là, présente et douloureuse. L’ancre de l’Amoco Cadiz trône au bout de la grève. Trophée de l’abomination, heures noires d’une marée honteuse, souillure odieuse et blessure si longue à guérir. L’homme est venu en ce décor grandiose semer la mort et l’abomination d’une pâte gluante et visqueuse, insidieuse et nauséabonde.
Nadine s’en souvient, elle était petite, elle avait entendu l'indignation des amoureux de la Bretagne, elle avait vu ses côtes transformées en dépotoir, elle avait participé à sa mesure au nettoyage de cette immonde souillure. Lui s’en souvenait également, il avait vu partir de son Val de Loire des amis qui avait été appelé avec leur camion spécialisé dans le pompage des matières fécales pour apporter leur aide à la Bretagne.
Le temps a passé, la nature a repris ses droits, elle les régale des parfums de goémon, ils s’amusent des mouettes tirant les algues, ils respirent l’iode et se laissent fouetter par le vent. Rien ne pourrait laisser croire qu’ici, il y a près de quarante ans, l’effroi était au rendez-vous. Décidément les humains ne retiennent rien de leurs erreurs et les agressions à la planète n’ont jamais cessé à petite ou bien à grande échelle.
Après cette longue promenade ils s’en vont retrouver l’amie d’enfance de Nadine. Elle se souvient que le père de celle-ci a joué un rôle non négligeable lors du procès à San Francisco des armateurs du maudit pétrolier. Son opiniâtreté avait permis à la ville de Porsal d’obtenir des indemnités conséquences et nécessaires.
Les retrouvailles sont chaleureuses. Le temps passé sans se retrouver sembla long, elle doit expliquer ce qui l’a éloigné de sa région. Yvon, le mari d’Érica lui fait promettre de revenir plus souvent. Elle dit qu’elle ne tardera plus tant, qu’aux grandes vacances prochaines, elle reviendra, c’est juré. Ils sont heureux.
Les souvenirs d’enfance amusent son collègue. Le personnage qui est ainsi décrit devant lui ne ressemble pas tout à fait à ce qu’elle voulait bien dire d’elle. Il sourit de ce décalage, de ce léger hiatus entre le récit personnel et les propos rapportés par les témoins. Il en va toujours ainsi, il ne s’en offusque guère lui qui est ici pour coucher sur le papier ce moment intime sans rien en dévoiler naturellement.
La mère d’Érica est venue également à sa rencontre. Elles étaient inséparables ; que de souvenirs communs qui réjouissent la dame qui a toujours beaucoup apprécié la petite. C’est touchant de la voir ainsi prendre le roman de l’amie de sa fille, de le feuilleter et de voir en cet objet la réalisation d’une ambition ou d’une fierté partagée par ses véritables amis.
Pour ne pas être en reste, son collègue offre deux contes pour remercier de l’accueil chaleureux et d’un repas fort agréable. La soirée se prolongera très tard, il y passera une émotion palpable, une envie de suspendre le temps, d’infléchir le destin pour remonter son cours à l’époque lointaine où tout était encore possible.
Il faut effacer quelques erreurs, ne pas se retrouver au soir de Noël avec des carottes dans ses chaussons pour paiement de maladresses ou bien de grosses bêtises. Permettez-leur de ne rien dire de ce qu’ils entendent pas cette métaphore amusante et retirons-nous sur la pointe des pieds.
Nostalgiquement vôtre.