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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le souffleur de temps

Bernard, le conteur limousin.

Photographie d'Olivier Parcollet

Photographie d'Olivier Parcollet

Le chemin d'un destin


 

Il est né en 1960 au cœur d’un limousin qui se refusait encore à la modernité envahissante. Tous les siens parlaient en patois, défendant encore des traditions et des croyances que l'école de la République était chargée de gommer. Bernard, lui a résisté à la grande machine d’uniformisation, sans aucun mérite, simplement par amour et respect pour les siens.

Son père était cantonnier, un de ces gars qui autrefois entretenaient les routes et les bas-côtés en usant le moins possible d’engins bruyants. Albert, lui, était le roi de la faux qu’il aiguisait avec passion chaque matin avant d’aller couper à ras, mieux qu’une tondeuse, les fossés et les rebords de nos routes. Parfois, le labeur lui donnait un peu soif et Albert et ses collègues s’offraient une belle rasade de vin du pays.

Bernard se souvient encore que quelquefois, son père rentrait un peu éméché. C’est que le travail avait été rude. Sa mère couchait le bonhomme et les enfants passaient la nuit parmi les borborygmes du gentil cantonnier. La deux-chevaux, seule entorse à la modernité, avait retrouvé le chemin.

Pour les travaux des champs, le grand-père ignorait tout de ce maudit tracteur. Il attelait deux vaches au joug, ce qui n’était pas une mince affaire quand il fallait changer une des deux bêtes. Une journée durant c’était un véritable rodéo jusqu’à ce que la nouvelle venue accepte le lourd collier de bois.

Dans la ferme, on tuait le cochon. C’était la fête et le grand moment de transmission des rites et des proverbes. Bernard s’est nourri tout autant de la chair de l’animal que des mystérieux dictons météorologiques de sa grand-mère. Il se crachait dans la main pour briser l’Arc-en-ciel, regardait la forme des nuages pour prévoir le temps à venir et savait que rien n’est jamais certain dans ce monde des croyances ancestrales.

Il est allé à l’école avec un maître sévère qui vous décollait du sol en vous tenant par les cheveux. Il n’était pas question de s’en plaindre, la famille soutenait l’instituteur. Bernard apportait une bûche l’hiver pour charger le vieux poêle qui trônait au centre de la classe. Il fréquentait également l’école de Dieu avec un curé en soutane qui jouait au football et avait des idées de gauche. Le vicaire avait été résistant, Bernard l’admirait et c’est sans doute lui qui en fit un mutin et un païen.

Avec le sourire aux lèvres, le conteur limousin évoque alors ce magnifique aphorisme : « Il y a trois sortes d’individus sur terre, les moutons, les mutants et les mutins. » Sans nul doute, il a choisi pour toujours son camp, refusant la modernité, ne disposant ni de téléphone ni d’ordinateur et vivant par intermittence de son métier.

Pour assurer l’essentiel, il cultive son jardin tout autant que sa différence. Il a hérité du grand-père l’art de faire monter les haricots verts aux rames. Il s’inquiète d’ailleurs de sa prochaine récolte qui va donner alors qu’il fait le « druide » en bord de Loire. Il attend encore des choux et des raves, des légumes qui viennent comme s’ils étaient attendus.

Son autre jardin est littéraire. Il aime les mots, les aphorismes tout particulièrement, ceux qui viennent pointer du doigt les faiblesses d’une humanité qui marche sur la tête. Lui, il a les deux pieds dans le sol. Point n’est besoin d’avoir des sabots pour disposer de solides racines ! Les siennes sont ancrées dans sa terre limousine, dans son passé qui en dépit d’une révolution qui vous arrachait les pavés, perdurait encore dans sa ferme natale.

J’ai trouvé en Bernard d’Uzerche un frère en paroles, un homme au parcours pas si éloigné. Nous avons grandi entourés de cette conviction profonde que la sagesse ne vient jamais de ceux qui courent comme des forcenés vers l’avant. Il convient de fixer les aiguilles, d’interrompre leur course effrénée. En soufflant parfois sur le temps, il remonte en une époque qui prenait la vie du bon côté, écoutant les anciens, respectant les saisons et prenant ce confort qui n’existe plus aujourd’hui, celui de la discussion simplement pour le plaisir de l’échange.

Raconteusement sien.

Photographie Philippe Ylan

Photographie Philippe Ylan

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K
Mon commentaire-pamphlet ci-dessous (truffé de fautes), concerne ce public de particuliers qui aime soit-disant la culture et l'art, le savoir et la transmission, le terroir et la langue, et regarde Hanouna le soir, lit du Claudel, «a voté» Macron.<br /> Je me suis mal exprimé à la deuxième phrase. <br /> Le comble serait que ce genre de public, vous snobent vous et votre ami.
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C
Kakashi<br /> <br /> J'avais tout à fait saisi le sens de votre commentaire
K
Malheureusement, vous et votre homologue limousin êtes des bardes déchus... Les gens peuvent s'improviser si dérisoires, se gargariser des bons et grands mots. Leurs arrivent-ils de les penser ? Pire, ils ne les conceptualisent plus ou pas ! Pas plus que le réel. Les foules, réfléchissent-elles ? Elles regardent leur nez. Elles écoutent le poète chanter son pays, son passé, son histoire, Elles louchent en coeur : «Ah! Oh ! Oh là là !». Elles applaudissent de leurs petites mains grasses, et s'en retournent le doigt au tarin. Elles reniflent leurs excréments nasaux, ceux qu'elles n'ont pu extraire. Elles l'aiment la pollution généralisée, elles en raffolent de la merde dans le fond, elle est bien pratique à leur confort personnelle.<br /> Vous et votre ami ne vendez rien de jetable, quel intérêt de vous écouter ?<br /> Sinon, n'en doutez pas, je commande votre roman à la rentrée
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C
Kakashi<br /> <br /> C'est certain que nous ne touchons pas le grand public mais en vaut-il la peine , lui qui se prosterne devant des vedettes dérisoires, fabriquées par l'industrie ?<br /> Nous soufflons le vent et cela ne s'achète pas
J
Bel hommage à votre homologue du Limousin .
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C
Jacky<br /> <br /> Il le mérite et est quant à lui un véritable artiste