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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La vieille dame et le brochet

Une histoire des bords de Loire.

Photos les mordus du carnassiers

Photos les mordus du carnassiers

Chroniques de l'Ehpad

 

 

Il était une fois une ligérienne pure souche née dans ce petit village qui échappe à la curiosité des gens pressés. Pour s’y rendre, il convient d’emprunter des chemins de traverse, d’éviter les grands axes et de prendre garde à ne pas vous perdre en chemin. Bou est bien nommé, c’est un bout de la Loire, le dernier grand méandre de la rivière avant que d’aller plonger vers l’Océan dans une course moins hésitante.

Les boumiens sont des gens de l’eau. Ils ont grandi entre le canal et la Loire, parmi les sablières, les vignes, les pêcheurs, les fêtes traditionnelles et une farouche indépendance d’esprit qui fit de ce village un bastion imprenable, le dernier village ligérien qui résistait à l’envahissement des gens de la grande ville et à leurs manières si peu solidaires. Ici on se tenait les coudes et l’amitié était aussi solide que durable.

Qui n’a jamais connu une fête à la Binette ne peut comprendre cette particularité atavique qui fait des autochtones de drôle de paroissiens, attachés à Saint Georges, au livre, à la culture, à la fête, à l’amitié et à la Loire. C’est ainsi que la vieille dame d’aujourd’hui a grandi et évoque encore son enfance, sa jeunesse et son passé avec un regard dans lequel coulent les eaux de la rivière.

Elle m’avait déjà raconté son mariage en 1949 et ce repas qui avait réuni la grande famille boumienne, les amis, les pompiers et tous les proches du futur couple. Ici, on ne se mariait qu’entre gens du bourg, pour respecter la tradition, pour entretenir l’esprit et conserver cette âme qui faisait de l’endroit un lieu unique en dehors du temps et bien souvent de l’espace.

La Loire était sur les assiettes ; Pitaine, comme on le surnommait là-bas était à la fois bouilleur de cru, vigneron, animateur et pêcheur professionnel. Il avait préparé un repas digne des grandes tables avec tout ce que les eaux toutes proches pouvaient offrir. La friture, les écrevisses et le Saumon en vedette incontestée du banquet. On avait le coup de fourchette solide à l’époque tout autant que le gosier en pente, la fête avait été belle au son de l’orchestre des pompiers.

La vieille femme vécut heureuse dans son petit village qu’elle ne quitta que pour achever son parcours dans une maison de retraite. Quand elle me raconta son histoire, je voyais pourtant dans ses yeux qu’elle n’avait pas quitté ses rives, que des reflets de dame Liger y brillaient encore. Elle me fit une nouvelle confidence, une histoire qui, une fois encore, va me faire passer pour un affreux menteur auprès des gens trop sérieux.

La vieille dame ne disposait plus de l’usage de ses jambes. Désormais c’était en fauteuil roulant qu’elle se rendait chaque jour au bord du chemin des Azins, ce parcours sauvage sur la berge, dans le creux du Méandre. Faune et flore y sont préservées, la vieille dame roulait doucement sur son véhicule un peu bringuebalant. Il grinçait pour supporter les nids de poule et autres anfractuosités du chemin. On l’entendait venir de loin.

Elle avait toujours le même but, un arbre foudroyé dont le faîtage plongeait dans les eaux qui en cet endroit étaient un peu plus profondes. Elle avait toujours du pain, du vieux pain, de celui qu’on ne jette jamais quand on est enfant de la campagne. Les poules, le cochon ou bien les oiseaux ont droit à leur part et personne ne songe à mettre à la poubelle ce qui peut encore ravir nos petits compagnons.

Mais le pain de la vieille dame n’était pas pour ces drôles d’animaux. Elle avait chaque jour rendez-vous avec un habitant des profondeurs, un poisson au nez effilé qui habituellement se nourrit de friture. Un brochet vénérable sortait à l’approche des grincements du fauteuil, de sa frayère pour recevoir son pain quotidien. Le rituel s’était établi sans que ni l’un ni l’autre n'y prenne garde, une confiance mutuelle devenue au fil du temps, une curieuse amitié.

Monsieur le brochet se pavanait en surface, s’offrait à l’admiration de sa vieille amie. Il venait tout près d’elle pour recevoir sa marque d’affection, ce bout de pain qui n’était que prétexte à ce curieux ballet, cette parade amicale. La vieille dame le regardait, l’admirait, l’aimait sans doute d’un amour qui ne s’explique pas. Quand elle m’en parla, elle avait encore dans les yeux des lumières qui ne trompent jamais celui qui sait écouter.

La vieille dame s’en est allée vers sa maison de retraite. Qu’est devenu le brochet ? Qui peut le savoir. Il a certainement eu gros chagrin à perdre ainsi son amie, sa vieille compagne au fauteuil qui grince. Le petit bruit ne se faisant plus entendre, le vieux brochet est resté tapi au fond de l’onde. Il ne revint plus jamais à la surface faire sa belle parade pour un morceau de pain. Peut-être qu’aussi les brochets peuvent mourir de tristesse !

Binettement sien.

Photos les mordus du carnassiers

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