Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
12 Novembre 2016
Comment taire ?
Les risques du métier !
Un mot de travers, un peu de fatigue sans doute, et voilà qu’un pauvre quidam prend une volée de bois vert, supporte ma plus parfaite mauvaise foi. Le bougre a osé : crime impardonnable à mes yeux, me traiter de « bobo ». Rien ne peut plus me blesser qu’une remarque aussi maladroite. L’homme devrait savoir sans doute qu’on n’attrape pas une mouche avec du vinaigre ; voilà donc notre dialogue qui tourne à l’aigre !
Dans l’instant, je prends la mouche et les propos volent bas. Les noms d’oiseaux sans doute, mais aussi les réflexions qui laissent bien peu de chance aux drosophiles. Bien que je sois bretteur confirmé, mes saillies ne font pas mouche, mes attaques tombent en piqué, mes bottes secrètes manquent de tranchant ; je ne suis plus la fine lame que je sais parfois être.
Mais quelle mouche m’a piqué ? Je n’en sais rien. Je ne suis plus à même de réfléchir. Je suis englué dans le miel ; les répliques de mon adversaire d’un jour me clouent sur place. J’ai le bourdon, il fait mouche à chaque attaque ; j’ai un sérieux coup dans l’aile. Je reste sur le flanc, incapable de prendre de la hauteur.
Je gobe, une à une, toutes les provocations dont l'autre s’amuse à parsemer ses commentaires. Ses coups sont gagnants, mes ripostes tombent à plat comme des mouches abruties par un puissant insecticide. Je suis groggy, incapable d’user de cette langue à fleuret moucheté qui est la mienne de temps à autre.
Les échanges sentent mauvais : plus j’avance dans le propos, plus je soulève les remugles d’un discours fangeux. Je suis à terre, j’ai perdu la bataille. Je ferais mieux de tout plaquer et partir à la pêche. Mais là encore, je tombe dans le panneau : je mords à l’hameçon que l’autre me tend sournoisement : le leurre se fait mouche, à la fin de l’envoi, une nouvelle fois il touche !
Je suis déconfit, vaincu, humilié. La toile est couverte de chiures et, honte à moi, elles sont de mon fait. Mes amis se taisent, désapprouvent cette lente descente aux enfers, en vrille. On entend les mouches voler ; personne n’ose venir me prendre la main. Je m’englue sur le papier tue-mouche en spirale qui demeure accroché à un vieux lustre.
La défaite est totale ; je choisis la retraite. J’éteins l’ordinateur et décide de coucher sur le papier le récit de ce fiasco. Mon écriture est illisible : de vraies pattes de mouche. Moi qui n’aurais, jusque là, jamais songé à faire du mal à une mouche, je viens de sombrer dans la plus parfaite mauvaise foi et dans un vocabulaire de bas étage. Il se murmure même que j’ai cédé à la plus affreuse vulgarité, traitant mon rival de tapette ! Fort heureusement, un modérateur avisé est venu me taper sur les doigts pour me rappeler à plus de dignité.
Les gens qui savent comment je fonctionne sont intrigués. Ils s’interrogent. Que va-t-il encore nous pondre ? Lui qui fait mouche si souvent, il va encore enculer la pauvre bête pour en tirer un billet abracadabrantesque. Ils n’ont pas tort. Il convient de se relever et quoi de mieux que de prendre la plume pour tirer dans la catégorie des poids mouches, croiser les gants avec celui qui m’a touché mais pas coulé. ?
Je remonte sur le ring, je vais le coincer dans les cordes. Il est touché, il va couler. Pour célébrer ma victoire finale et pour montrer que je reste chevaleresque dans le triomphe, j’offre à mon contradicteur un voyage sur un bateau-mouche. C’est alors que je découvre que le pauvre est très marqué par l’aventure, allant jusqu’à se faire une mouche sur le visage.
Mais pourquoi ai-je fait tout un fromage de cette histoire ? Allez donc savoir ! Il faut toujours savoir faire contre mauvaise fortune, bon cœur ; j’écris dans l’instant une histoire de coche d’eau, d’un marchand qui prend la mouche et d’une réaction en chaîne qui bouleverse les quais d’Orléans, patrie du vinaigre. Quand soudain je découvre que mon écran est envahi par les mouches ; il me faut mettre un point final à cette folie !
Diptèrement vôtre.