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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

En tête à tête.

Un monde communicant ?

En tête à tête.

Duo incertain

 

Ils sont face à face, les yeux dans les yeux, seuls au monde ! Ils ne se parlent pas : c’est par le prisme de leurs regards que passe cette émotion qui trahit un désir profond. Ils se tiennent par la main tandis que sous la table, leurs pieds s’accordent quelques privautés que personne autour d’eux ne semble remarquer. Le visage de l’homme s’empourpre : il veut dire quelque chose à sa belle partenaire. Il est maladroit, ses mots s’embrouillent dans sa tête. Il ne sait par où commencer pour lui exprimer ce désir fou qui le consume …

 

« Ma mie, j’ai un mot doux sur le bout de la langue. Je ne sais comment vous le dire. S’il s'était agi d’un gros mot, d’une sentence ou bien d’un juron, il n’aurait aucune peine à jaillir, triomphant et arrogant. Mais là, comment faire pour être délicat et vous plaire ? » La femme n’en croit pas ses oreilles : il vient de briser la magie de l’instant avec ses tirades alambiquées. C’est une catastrophe dès qu’il parle !

 

Pourtant l’autre continue, imperturbable et sot comme seuls les hommes amoureux peuvent l’être. « Je crains de l’avoir avalé. Habituellement je mange mes mots : j’ai bien du mal avec les « je veux » qui sont sur le bout de ma langue. Mais cette fois, c’est pire encore, le mot doux me reste sur l’estomac, il se refuse obstinément à remonter à la surface ... »

 

La femme soupire. Quel abruti ! Il se croit drôle ; il est pathétique. Ce n’est pas ainsi que les hommes doivent manier la langue pour nous plaire, pense, amusée de son audace, la jeune femme. Un petit frisson parcours son corps ; ce n’est pas encore cette fois qu’elle trouvera son prince charmant. Celui-ci avait tout pour plaire mais hélas, c’est un affreux mainate dès qu’il jacasse !

 

« Ma langue se charge des émotions qui s’accumulent en moi. Je ne sais que vous dire et comment vous l’avouer. Les images se bousculent dans ma tête sans que je parvienne à les exprimer. Je les perds en cours de route, elles se dissolvent, deviennent des bulles de savon qui explosent en moi »

 

Mais où va-t-il chercher toutes ces fadaises pompeuses et prétentieuses ? pense celle qui reste muette d’effroi devant cette incontinence logorrhéique. Dire que nous n’avons pas même commencé l’apéritif ; la soirée risque d’être une torture. Comment me sortir de ce pétrin et ne plus écouter ce crétin ? Elle sort discrètement son téléphone de son sac : le monde virtuel va la sauver de l’ennui.

 

« J’aurais bien un petit mot capable de se glisser dans ce fatras. Un mot tendre, un mot d’amour. Il ne demande qu’à remonter à la surface, à se glisser dans le creux de votre oreille. Mais je n’ose. Je suis si maladroit avec les femmes. Penchez-vous vers moi que je puisse vous le susurrer en un soupir! »

 

« Cette fois, il dépasse les bornes. La femme lève les yeux au ciel. Celui-ci tient le pompon ; elle aurait dû se méfier. Ces marins d’eau douce vous mènent toujours en bateau. Avec cet olibrius au moins, le naufrage précède la première navigation. C’est un gain de temps non négligeable. » La belle cesse de l’écouter ; elle pianote sur son écran. Il est en ligne ; il est là celui qui écrit si bien et dit des choses si belles …

 

    • Bonjour belle dame ! Vous voilà revenue, je me languissais de vous …

    • Oh, mon bel inconnu ! Je suis heureuse ; vous êtes là. J’ai tant besoin de vous !

    • Que se passe-t-il, ma déesse ? Auriez-vous quelques peines de cœur ?

    • Pire, je me coltine le plus parfait imbécile bavard que j'aie jamais entendu.

    • Ne l’écoutez plus et plongez dans notre conversation. Je suis là, rien que pour vous.

    • Merci, mon ami. Dites-moi des douceurs, je les aime tant.

    • Ma chère friandise, je vous déguste toujours avec délice.

    • Attention, l’autre imbécile est lui aussi sur son téléphone, il a cessé de parler !

    • Que fait-il ce méchant homme ?

    • Il écrit lui aussi. J’ai cessé de l’intéresser. Bon débarras !

    • Laissez-le et racontez-moi vos envies que je puisse les combler.

    • Je désire que vous veniez me tirer de ce mauvais pas. Je n’en puis plus.

    • Où êtes-vous ma belle dame ?

 

L’échange de SMS prend fin soudainement. Le petit signal sonore trahit l’un et l’autre. Il y avait une incroyable simultanéité. C’est l’homme qui le premier a un doute. Il écrivait précisément à celle qui est en face de lui. C’est elle qui l’avait traité d’imbécile bavard. Elle a sans doute raison : il ne sait pas parler.

 

La femme à son tour se rend compte de la situation. Le bel inconnu c’était donc ce balourd verbeux. Que faire ? Ce garçon est si délicat quand il écrit. Par contre, quelle plaie quand il parle. Le quitter, c’est se priver à jamais de ces doux échanges qu’elle chérit tant. Il lui vient une idée :

 

    • Jurez-moi de ne plus jamais me parler. Nous ne ferons que nous écrire.

    • Je n’osais vous le demander. Quelle merveilleuse idée, ma chère amie !

    • Quittons ce restaurant. Laissons là ces préliminaires oiseux.

    • Nous allons nous aimer par écran interposé. Je pourrai laisser libre cours à mon désir de vous

    • Je rentre chez moi et vous attends.

    • Je rentre chez moi et vous écris !

    • À très bientôt , mon tendre amour.

    • À toute de suite, ma délicieuse amie …

 

Ainsi se termina ce curieux échange. Ils avaient des forfaits illimités, ils s’aimèrent toute leur vie. Jamais ils ne connurent la plus petite dispute. Ils ne se rencontrèrent plus jamais. Le président l’avait dit : « le grand défi de la planète est le choc démographique ». Le téléphone venait de mettre un terme à cette catastrophe annoncée. L’amour par messages interposés réglait définitivement le problème ainsi que celui des MST.

 

    • Je t’aime !

    • Moi aussi …

    • Où es-tu ?

    • Et toi ?

    • Tu m’as manqué aujourd’hui.

    • Toi aussi ma biche.

    • Laisse-moi t’embrasser

    • Fais. J’aime quand tu me poses un doux baiser dans le cou !

 

SexeMessageSeulement vôtre

En tête à tête.
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L
Je voulais dire évidemment : pas d'intervention grossière ...
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L
Très romantique en somme .Les rêves se fracassent au contact de la réalité , les chimères sont si séduisantes ! L'amour courtois est exalté par écran interposé .Les Précieuses sont enfin comblées : par d'intervention grossière des sens .<br /> Le mythe de la caverne aussi pendant qu'on y est : les apparences , les ombres : tout plutôt que la lumière de la vie si cruelle , porteuse d'amères désillusions .<br /> Et pourquoi pas la paix des ménages? couples qui ont enfin trouvé un modus vivendi , séparés de corps , réunis par l'esprit qui sort de la boîte magique .
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C
Laure<br /> <br /> Le refus du réel est parfois fort commode<br /> Les mots qui ne sont pas suivi d'actes, le désir qui demeure magnifié en pensée, l'autre qui n'est qu'une chimère, tout permet de se construire un formidable artifice, fait de délices et de soupirs.<br /> L'union virtuelle à ce titre évite bien des drames de la séparation