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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L'invention de la langue.

La plus belle chose qui soit

L'invention de la langue.

 

Les mots pour remplacer les coups.

 

Aux tous premiers temps de l'humanité naissante, ils étaient deux dans cette caverne.  Ils ne s'appelaient ni Adam ni Ève ; il ne faut pas croire aux balivernes ! Ils n'avaient pas encore de noms, vivaient dans des conditions très difficiles car chaque instant était pour eux une lutte pour la survie. L'homme était rude, violent par nécessité, toujours aux aguets et souvent prompt à frapper sa femme pour obtenir d'elle ce qu'il voulait.

 

La femme acceptait, semble-t-il, ce curieux traitement, se soumettant à la force et appréciant sans doute les avantages que lui apportait la protection de ce farouche guerrier. C'est du moins ainsi qu'il faut comprendre ce curieux assemblage. L'amour peut-il naître sous les coups ? Il ne nous appartient pas de juger ce que nous ne pouvons comprendre.

 

Toujours est-il que la femme acceptait les étreintes rapides, brutales, sauvages de celui qui partageait sa couche. C'est ainsi qu'elle sentit une transformation dans son corps, une présence discrète, un souffle de vie qui n'était pas le sien. Pour fruste qu'elle pût être, cette femme avait pris conscience du miracle de l'existence ; elle savait qu'elle portait une vie et voulait à tout prix préserver ce don de la nature.

 

Mais comment faire pour échapper aux coups que son homme ne manquait pas de lui donner en rentrant de la chasse ? Son compagnon transcendait ses peurs en portant la main sur celle qui l'attendait dans le secret de la caverne. Cette marque de faiblesse lui permettait de se montrer courageux face aux fauves et aux menaces de la chasse. Ne lui jetons pas la pierre : les temps étaient impitoyables alors …

 

La femme, dans sa maternité naissante, avait compris qu'il fallait que cesse l'avalanche de coups qu'elle recevait chaque soir pour finir par céder à l'appétit de celui qui exigeait d'elle ce coït dont elle ne percevait pas encore le sens. Elle entendait son homme, alors émettre de drôles de bruits quand il prenait plaisir à se vider en elle. Elle se dit qu'il y avait là, matière à une expression plus élaborée, moins bestiale.

 

Elle s'entraîna seule à maîtriser ces bruits, à les moduler, à les rendre plus doux et plus précis. Dans sa solitude durant les longues parties de chasse de son partenaire, elle composa, petit à petit, une suite de modulations auxquelles elle attribua un sens. La femme qui portait la vie, engendrait la parole.

 

Elle comprit alors que les mots avaient un curieux pouvoir : ils arrêtaient la main de l'homme, l'intriguaient, lui donnaient une attitude plus douce, plus humaine. Le chasseur cherchait à comprendre, se concentrait sur ces étranges sons qui émanaient de sa compagne. Il essayait de l'imiter ; bien vite, il apprit à reproduire ces quelques mots qui prirent sens pour eux deux.

 

L'homme devint alors tendre et caressant. Il cessa de frapper et à chaque fois qu'il rentrait, il cherchait à expliquer sa journée de chasse avec quelques sons qui décrivaient un animal, une sensation, un paysage. Tous deux, dans le secret de la caverne étaient en train de créer la première langue : une langue sommaire, une langue sans grammaire mais une langue qui allait donner la vie et la transmettre …

 

Quand l'enfant fut né, les deux se mirent en demeure de lui offrir ce mystère. L'enfant apprit vite ; il aima ce dialogue, il montra des qualités créatives incroyables. Quand il eut l'âge de marcher, il voulait nommer toutes les choses qu'il croisait. Ses parents durent faire beaucoup d'efforts de mémorisation pour suivre cet enfant qui parlait.

 

La vie continua son cycle. D'autres humains imitèrent cette famille. La vie sociale put voir le jour. Les mots avaient pris la place des conflits. Bientôt il se trouva des individus capables de raconter des histoires : les mots s'assemblaient, ils prenaient tournure et sens, ils vivaient leur propre existence. La langue cessa simplement de nommer les choses ; elle exprima des notions plus complexes, plus secrètes, plus intimes. Elle permit de vivre en société et de s'inventer une légende.

 

Les langues se répandirent de par le monde, elles se multiplièrent, se diversifièrent, s'enrichirent de mille et une nuances. Elles portaient des mythes, des croyances, des rêves. Elles permettaient de s'aimer ou de s'aider. Elles assuraient un lien merveilleux pour vivre ensemble. Puis un jour, une fois encore, une langue voulut s'étendre sur le monde entier, devenir la seule, l'unique. Mais cette fois, le piège semblait fonctionner.

 

La langue impérialiste s'imposa par l'économie et la force. Elle voulut se simplifier, se raccourcir pour revenir à l'essentiel, du moins le croyait-on : manger, acheter, vendre, produire. Elle envahit les esprits, les journaux, les bouches des gens importants. Elle imposa sa présence dans toutes les réunions, les congrès, les foires internationales, les marchés.

 

Les hommes en firent le véhicule de toutes leurs bassesses, leurs mesquineries, leurs désirs de puissance et de domination. Les poètes et les conteurs n'eurent plus leur place. Cette langue devint celle des banquiers et des commerçants, des producteurs et des gens de pouvoir. Bien vite, faute de diversité, faute de beauté, ce fut le retour de la barbarie et les femmes cessèrent alors de donner la vie.

 

C'est alors que quelques personnes se dressèrent contre cette insidieuse invasion. De- ci, de-là, des gens se mirent, une fois encore, à raconter des histoires dans toutes les langues du monde. Chacun empruntant à son voisin les plus belles légendes de sa contrée. Même dans le pays de la langue invasive, on se reprit à dire les épopées de la grande civilisation amérindienne, dans les langues de ceux qui avaient subi la domination des Yankees.

 

Contrairement à ce que prétend la Bible, c'est la multiplication des langues qui favorise l'harmonie et la diversité. Les humains redevinrent fiers de leurs cultures, de leurs traditions et cessèrent de singer le grossier modèle venu d'au-delà des portes de l'enfer. Les enfants naquirent à nouveau et grandirent désormais avec des comptines d'antan, des mythes fondateurs et des contes du terroir. Walt Disney ferma ses portes et le monde retrouva ses valeurs ancestrales, il redevint solidaire, charitable et paisible.

 

Lexicalement vôtre.

L'invention de la langue.
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K
Il est vrai que les anglicismes prennent une part toujours plus importante dans les médias. Tous ce qui nous vient des États-Unis est repris sans l'état d'âme d'une traduction en français dans la presse.<br /> <br /> Et puis un paradoxe. Depuis déjà deux ans au moins environ, c'est le grand retour des locutions latines, en veux-tu, en voilà, vous êtes servis. Je n'ai jamais pratiqué la langue de Virgile.<br /> <br /> Walt disney n'y est pour rien ! ;)
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C
Kakashi<br /> <br /> La mode, un phénomène fort commode pour les moutons incapables de penser par eux-mêmes <br /> <br /> Osons la liberté, l'originalité, la découverte
L
Un éclairage plein de réalisme. Merci.
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C
Letienne<br /> <br /> Rien ne sert d'écrire des contes s'ils ne s'inscrivent pas dans notre époque<br /> C'est sans doute pourquoi je déplais aux gens de la coquetterie ou de la bourgeoisie<br /> <br /> La Fontaine en son temps eut subi même anathème de la part de ces gens