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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Dans le tourbillon du temps.

" Ah la bonne heure ! "

Dans le tourbillon du temps.

 

Étrange expérience.

 

Depuis le temps que cette idée me trottait dans la tête comme les aiguilles d'une vieille pendule, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai tenté la plus folle aventure de notre époque. À l'heure prescrite par la loi, j'ai plongé dans le tourbillon du temps. Ce que j'ai vu alors m'a fait douter de moi-même, de la raison et de l'ordre immuable du temps.

 

Il était trois heures ce jour-là. Les balayeurs n'étaient pas fatigués, les laitiers pas encore levés et les marchands de journaux n'avaient pas reçu la dernière édition. La France sommeillait : celle des gens qui ne sont ni noctambules ni d'astreinte. Les rues étaient presque désertes, j'attendais un événement incroyable …

 

Soudain les cloches sonnèrent ou du moins c'était leur intention. Mais dès le premier coup de carillon, les aiguilles s'en retournèrent à l'envers, remontèrent le cours des temps. Bientôt le clocher afficha une heure de moins et malgré les efforts du maître de l'horloge, le troisième coup retentit dans le silence de la nuit … Une première fausse note dans la cacophonie qui va suivre.

 

J'avais compris que les choses devaient se figer, rester mystérieusement inertes. Tout ce qui était commandé par les hommes aurait dû se diluer dans l'espace ; il fallait abolir une heure, revivre ce qui venait d'être vécu. Je vis, tout au contraire, des humains s'activer en tous sens ; ils avaient pour mission de remettre les pendules à l'heure : mission devenue impossible de nos jours. Une cascade d'événements en chaîne se déroula sous mes yeux ébahis ...

 

Les artisans du temps étaient à l'œuvre. Remonter le temps alors que toutes les horloges se dispensent désormais du balancier et de ses plombs, voilà une tâche qui demande beaucoup d'imagination. Les uns étaient munis d'une échelle, d'autres d'un équipement d'alpiniste, certains avaient des ailes volantes, les plus nombreux étaient montés sur ressort. Tous étaient bien à la peine, si le temps perdu ne se rattrape guère, le temps envolé ne se remonte plus.

 

Quelques badauds à la recherche du temps qui passe venaient à leur rencontre. Ils y allaient de leurs conseils, désopilants ou bien énervants. Chacun avait son mot à dire, sa petite remarque qui agace et ne fait pas avancer les choses. Les plus nombreux affirmaient de manière péremptoire qu'une de perdue, c'est dix heures de retrouvées. D'autres plus solennels, voulaient consoler les artisans du temps en leur déclarant que l'essentiel était que leur dernière heure ne fût pas sonnée.

 

Un quidam passa en coup de vent, il leur cria qu'il n'y avait plus une seconde à perdre. Un homme, muni d'une calculatrice -le calcul mental se perd et les nombres sexagésimaux n'ont jamais eu la cote-lui affirma qu'il venait d'en gagner 3 600 et qu'il pouvait bien prendre le temps de se calmer un peu.

 

Le peuple de la nuit était en folie. La fuite monotone du temps avait enfin gagné en fantaisie. Il y avait un grain de sable dans le système de comptage du temps : les sabliers en étaient tout retournés. Si dans les maisons, les enfants dormaient d'un sommeil profond, leur horloge interne se riait bien de cette heure accordée sur le cadran de la montre de leurs parents. Pour eux rien n'avait changé et bientôt, ils allaient se lever en dépit de ce temps additionnel accordé par un arbitre mystérieux.

 

Dans les étables, les animaux non plus ne jouent pas le jeu des prolongations. Les mauvaises têtes sont légion dans le cheptel et l'heure de la traite ne saurait attendre. Les artisans du temps qui suspend son vol n'ont jamais su régler les horloges biologiques. Ils ont baissé les bras devant cette difficulté insurmontable. Personne n'a jamais réussi à leur montrer ce qu'il fallait faire.

 

Une heure durant ils se sont multipliés en vain. Le coq monte sur ses ergots et sonne leur défaite. Les pendules peuvent bien afficher un autre temps, la nature avance, immuable et moqueuse. L'heure d'hiver en automne, quelle belle foutaise des humains ! Ceux-là même qui, depuis quelque temps, sont incapables de connaître les fruits et les légumes de saison, s'arrogent le droit de changer le cours du temps.

 

Chronologiquement leur.

 

Dans le tourbillon du temps.
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