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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Les gros mots.

Divagations …

Les gros mots.

On en a plein la bouche ; ils surgissent au moindre incident, au plus petit désagrément, sans retenue, sans distinction, étalant au grand jour devant vos proches, vos amis, vos collègues, le peu de maîtrise que vous avez sur vos émotions. Ils vous dévoilent bien plus que tous vos comportements ou vos paroles ordinaires : ils sont si spontanés qu'ils n'avancent jamais masqués.

 

Les gros mots ne donnent jamais dans la dentelle ; ils se moquent des conventions, de l'étiquette et des usages. Ils claironnent, sonnent comme une charge héroïque, claquent tel un coup de fouet que vous vous prenez sur les doigts. Vous pouvez vous en mordre la langue ; ils sont sortis du fond du cœur ou d'autres parties de votre anatomie. Les gros mots sont scatologiques, graveleux, impertinents, vulgaires, au gré de votre rage, de votre éducation ou de votre registre intime.

 

Il y a les excrétions soudaines : les jurons si brefs que rien ne peut retenir. Ils manquent de distinction, c'est bien là la volonté de ce subconscient qui prend les commandes. Ils vous ramènent à la petite enfance, à ce cher Pipi-Caca qui faisait le délice de vos parents. Quand vous grandissez, ils deviennent tout à fait déplacés ; il est des fonctions naturelles qu'il ne faut jamais mettre sur la table.

 

Dans cette belle catégorie si chère à l'ami Cambronne, le délicat Crotte atteste d'une volonté de mettre la langue sous le boisseau de la respectabilité. Ceux qui parviennent à éviter la grosse commission au profit de ce petit trait de colère, démontrent à tous leur préciosité. Ils nous en bouchent un coin ! Ils dévoilent aussi la capacité à se retenir, à ne pas laisser aller leurs sphincters. Ils méritent un grand coup de chapeau !

 

Puis il y a ceux qui supposent un adjectif pilote, un marqueur spécifique afin de donner de l'ampleur au juron. Le célèbre « Pauvre con » présidentiel est de ceux là. Le choix de l'adjectif n'est jamais neutre, il en dit bien plus sur nos peurs, nos phantasmes, nos angoisses que ce Con final qui tient davantage du triangle rouge signalant le danger. Gros, petit, vieux, grand et naturellement pauvre tiennent la corde de l'expression la plus usuelle. Faites votre choix et mesurez à quel point ils en disent beaucoup sur ce que vous redoutez le plus.

 

D'autres vont puiser dans l'héritage classique le juron qui leur donnera cette classe que le vulgaire est incapable d'avoir. Sacrebleu, Morbleu et autre Cornegidouille sont si précieux qu'ils en paraissent fictifs, plaqués là par pédanterie. Je me méfie toujours de ceux qui s'interdisent à ce point la spontanéité pour plier leur langue de l'exaspération. Ils sont aussi peu fiables que leurs exacts opposés, les rois de la ponctuation vulgaire.

 

Que ce soit culturel-la belle excuse- ou bien par manque total d'éducation langagière, le recours systématique au gros mot pour remplacer un point d'exclamation est parfaitement insupportable. C'est la plus certaine manière d'attester un niveau de réflexion qui se situe bien bas. Le chapelet de gros mots est une croix à porter, un chemin semé de cailloux et de bouses. Il sent si mauvais que vous vous écartez au plus vite de ce triste locuteur.

 

Le gros mot a besoin de subtilité et de cohérence. La redoutable tendance qui veut désormais que les jeunes filles se plaignent qu'on leur casse, pète ou bien prise un attribut purement masculin atteste que cette société perd non seulement le sens de la nuance mais tout autant celui de la morphologie. Est-ce un des premiers résultats de la théorie du genre ? En tout état de cause, cette éjaculation langagière est d'une totale indignité …

 

Le gros mot marque notre évolution sociale. Il sort curieusement du registre de nos chers hommes et femmes politiques, à de rares exceptions, ce qui démontre à l'évidence la plus parfaite insincérité de leurs propos et prestations. La langue de bois est une expression moribonde, une langue morte sans gros ni grands mots, sans vie ni soubresauts émotionnels. Il serait urgent de se prémunir contre ces gens qui ont ainsi évacué le sel de notre langue …

 

Les gros mots méritaient que je leur consacre un billet. Ils ont besoin que nous les réhabilitions, tout en exigeant d'eux une modération de bon aloi. Le gros mot est une pépite : c'est sa rareté et sa brillance qui en font la valeur. Il me semble nécessaire, dans ce monde sans repère, de proposer une éducation à la subtilité du gros mot. Je constate, tout autour de moi, de telles dérives que cette suggestion s'impose à ma réflexion de pédagogue en retraite. Cette fois, à n'en point douter, je suis entré dans la grande cohorte des vieux cons !

 

Cornegidouillement vôtre.

Les gros mots.
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L
Cornegidouille on organise un con court ???
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C
Canard mal embouché<br /> <br /> Un canard par définition ne peut qu'être mal embouché puisqu'il a un bec<br /> Si le con court, le sage nage dans sa marre et vous devez être de ceux-là.
K
Toutefois, les jurons du Capitaine Haddock sont inégalables... Jamais le gros mot n'eut tant de prestance dans une oeuvre, y compris celle de Céline !
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C
kakashisensei<br /> <br /> Nous sommes d'accord
K
Point de vue très hugolien, très miltaire dirais-je.<br /> <br /> Pour moi le gros mot est un coup de poing langagier: violent mais pas forcément vulgaire. Il est des caresses moins distinguées que certains gros mots.<br /> <br /> Mon faible, l'apothéose de la vulgarité c'est les terminaison en -asse-. Je trouve que leur emploi connote d'emblée une sordidité brutale envers le sujet auquel ils sont rapportés. Pareillement pour les individus prononçant, non sans une dose d'ingénuité « grossomerdo» à la place de «grossomodo»: j'avoue que cette vulgarité naturelle me heurte les esgourdes ! Ou encore cette phrase maintes fois utilisée: « tu vas le fermer ton claque-merde !» ça c'est du vulgaire ! Une bonne piquette! Un bon rouge qui tâche ! Effet garanti ! À ranger dans les égouts de Paris ! Et je vous soupçonne de la porter très haute cette phrase, avec force conviction, à chaque fois que votre Muse pamphlétaire l'ouvre devant l'assistance...<br /> Moi, c'est le petit trembloteur du moment ! Celui qui déconne avec un jeune partisan avec un regard d'inquisiteur fanatique en lui talochant un peu le crâne au passage... Faut dire qu'il l'avait sorti son énormité l'autre aussi...<br /> Bref, cette époque proprette en tout, très milicienne de la pensée, se prête bien à l'usage des gros mots je trouve... C'est peut-être la dernière des libertés de langage qu'il nous reste... Pourquoi sans priver pute borgne !
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C
kakashisensei<br /> <br /> Le suffixe magnifique, la transformation adroite, la métaphore scabreuse, l'art du gros mot suppose pour ses créateurs une bonne connaissance de la grammaire ce qui avouons le tout de go, n'est pas toujours le cas de ceux qui les emploient <br /> étonnant non ? <br /> Souvent la langue devient un naufrage entre deux gros mots, seul le bon capitaine échappe au ridicule