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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Les moulins à paroles.

Une légende gravée dans la pierre.

Les moulins à paroles.

Il était une fois un étrange moulin qui combinait les deux sources d'énergie. Installé en bord d'une rivière que les moines d'alors avaient détournée de son lit pour qu'elle vienne irriguer leurs terres et faire tourner leur moulin, il n'utilisait donc que l'énergie hydraulique. Puis les bons pères abandonnèrent les lieux et cédèrent à un meunier le bel édifice. Celui-ci, homme prudent et habile, avait choisi d'adjoindre un moulin à vent à sa roue à aubes, de façon à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

 

Ainsi donc, quand l'eau venait à manquer de force, le vent faisait l'affaire et rien n'arrêtait jamais l'ouvrage dans ce moulin installé en un lieu qu'on nommait alors « Trompe souris ! », non que les terres y fussent de mauvaise qualité comme c'est bien souvent le cas, mais parce qu'alentour, il y avait tant de genettes que nul rongeur ne venait s'aventurer dans le secteur.

 

Le meunier avait, pour son malheur et pour le cours de notre histoire, pris une épouse qui avait la réputation d'être une pipelette comme on n'en vit jamais dans la région. Du matin au soir, la dame avait toujours quelque chose à dire ; elle couvrait le bruit du blé qui s'écrase, elle qui avait toujours du grain à moudre à sa manière.

 

 

Les moulins à paroles.

La commère n'était pas une diseuse de ragots, bien au contraire, elle ne cessait d'enchanter les visiteurs de récits et de contes, de fables et d'histoires qu'elle brodait de mille et une façons. Il y avait toujours dans le moulin une belle assemblée d'oreilles curieuses et attentives qui venaient se régaler du bonheur de l'écouter.

 

Le meunier finit par se lasser de sa femme volubile. S'il avait goûté comme tous les autres le plaisir de ses légendes, la présence continuelle d'auditeurs qu'il fallait abreuver et parfois nourrir, avait fini par installer un différend entre les époux. Mais comment faire taire une telle raconteuse ? Les curieux n'auraient pas supporté d'être privés de ce loisir merveilleux. Le moulin d'ici est le cœur de la tradition orale, le centre de conférence, le grenier à fictions.

 

Le plus éprouvant pour le minotier c'était toutes ces chaises qui se dressaient en travers de son chemin quand il avait tant à faire. Ceux qui y étaient assis étaient si attentifs au récit en cours qu'ils ne se bougeaient guère pour laisser passer les sacs de grain ou bien de farine. Le pauvre homme, excédé, finit par faire son baluchon et quitter ce moulin qui ne cessait de bruire d'histoires à dormir debout.

 

La femme ne s'aperçut pas dans l'instant que son homme avait quitté la maison. Toute à son récit, elle tenait en haleine un parterre d'auditeurs qui n'avaient, pas plus que la dame, remarqué le départ du meunier. Il faut avouer qu'il avait laissé la grande roue et les ailes tourner : les meules continuaient d'œuvrer sans n'avoir plus rien à broyer.

 

 

 

 

Les moulins à paroles.

Quel mystère se déroula alors ? On ne le saura jamais. La femme racontait, les pierres tournaient et gravaient au plus profond de la matière minérale, le discours de la raconteuse. La femme parlait, parlait, intarissable et féconde : sa faconde émerveillait ses visiteurs tout en se gravant dans les sillons de la meule.

 

À la fin de la longue veillée, le soleil revint dans les cieux au loin du côté du levant. Les yeux lourds de fatigue, chacun se leva, pensant qu'il était temps de rentrer chez soi pour vaquer aux travaux du jour. C'est alors que se produisit le phénomène qui marqua à jamais cette bâtisse. La femme du meunier se tut et pourtant on l'entendit reprendre le fil de son discours au moment précis où le meunier était parti .

 

Les spectateurs se rassirent, la conteuse, pour la première fois, s'écouta, surprise et admirative. Le jour tout entier, chacun des témoins de ce prodige resta en place à écouter, une nouvelle fois, le récit qui les avaient captivés lors de la soirée précédente. Le moulin tournait et c'est de ses entrailles que venait la voix reconstituée de la femme du meunier. La pierre parlait et chacun écoutait ce prodige.

 

 

Les moulins à paroles.

De ce jour, on débaptisa « Trompe souris » ! Ce fut désormais « Le moulin à paroles ». Plus personne n'y porta du grain à moudre. Chaque fois qu'on remettait en marche les ailes et la roue à eau, la voix de la conteuse reprenait le merveilleux récit gravé dans la pierre.Dans ce mystère la dame avait perçu un message. Elle s'en alla obtenir le pardon de son meunier de mari. Elle qui parlait souvent à tort et à travers, lui promit de cesser son bavardage quand son mari serait à l'ouvrage. Elle n'abandonna pourtant pas son art, le réservant pour les veillées et les soirées.

 

L'homme et la femme s'installèrent dans un nouveau moulin. Quant au moulin à paroles, il continua de murmurer le récit tant qu'il y subsista dans ce pays des hommes, des femmes et des enfants qui croyaient aux contes de fées.Il fut condamné définitivement au silence quand une étrange lucarne prit sa place et les gens d'ici laissèrent les ronces et les herbes folles l'envahir peu à peu.

 

La roue cessa de tourner, les ailes se disloquèrent. Les meules demeurèrent cependant. Vous, qui avez conservé votre âme d'enfant, s'il vous venait l'envie et le courage de remettre ce moulin en état de marche, vous auriez alors le privilège d'entendre à nouveau la voix de la conteuse .

 

Enregistrement leur.

Les moulins à paroles.

Illustration avec la participation involontaire et au combien précieuse de Jérôme Guilbot

Merci à lui

Visitez son site

http://www.jeromeguilbot.com/index.html

 

Les moulins à paroles.
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K
Ma fille est bien partie pour s'amouracher d'un meunier dans un futur encore lointain ... À moins qu'elle ne soit la réincarnation de cette conteuse ... Jamais d'interruption ... Et croyez moi, l'emploi de l'adverbe «jamais» n'est nullement exagéré.
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C
kakashisensei<br /> <br /> Faites en une conteuse !<br /> Il faut sauver la tradition orale
L
Ah là là !... Ces empêcheuses de moudre en rond ! :))<br /> <br /> J'ai cru l'espace d'un instant qu'il s'agissait de l'histoire du moulin de la Galette....<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> mais elle n'est pas pour les chastes oreilles.. La vôtre m'a ravie, je dirais même plus ; illuminée ma fournée...<br /> <br /> Mille persil ! ;)
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C
Loatse<br /> <br /> Avoir du grain à moudre et le confier à un moulin à paroles permet aussi de se retrouver avec quelques galettes à croquer<br /> Ne refusez pas ce plaisir de la bouche tandis que j'aime à nourrir vos oreilles
L
Fable charmante ,nabumesquissime. Vive les bavardes ! Ne pas confondre une commère et une conteuse .<br /> Malheureusement , le premier cas de figure est beaucoup plus répandu.<br /> <br /> Bel artiste à découvrir que je range dans mes favoris .Talent très original et bien affirmé , je devrais dire confirmé.
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C
Laure<br /> <br /> Je l'ai découvert par hasard ce matin en cherchant une illustration<br /> Je suis tombé sous le charme<br /> <br /> J'espère que quelqu'un le préviendra de mes emprunts sans qu'il s'en offusque.
L
Je croyais qu'il fallait du vinyl pour conserver les sons...<br /> Je connais un bonimenteur qui n'aurait jamais quitté cette femme
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L
Une bien charmante femme qui a inspiré cette jolie fable , le prénom est à l'avenant .Belle journée à vous deux
C
L Hatem<br /> <br /> Je crains que ce fut la femme qui soit partie avec moi