3 Juin 2015
L'écran prétexte.
Comment faire semblant : tuer le temps et se donner l'air d'être affairé ? L'écran a ceci de merveilleux qu'il le dissimule aux regards inquisiteurs de ses voisins de travail. Ils le pensent affairé, ils le croient en pleine réflexion, ils admirent sans doute sa concentration et son sens du devoir. Il est vrai qu'il n'est pas un adepte de la pause-café, thé et autres sucreries, ce délicieux moment, semble-t-il, où les langues se délient au rythme des minutes qui ne cessent de s'étirer en pure perte.
Cet ours mal léché reste dans sa tanière et ce collègue indifférent, se dissimule dans son bureau. Mais que peut-il faire ainsi, loin des créneaux communs de la conversation institutionnelle ? Il écrit dans le seul dialogue qu'il apprécie : celui qu'il mène avec lui-même. Il n'y a donc rien à attendre de cet individu dont le passage sera aussi vite effacé qu'un message écrit sur une plage.
D'autant qu'il ne fait vraiment aucun effort pour se montrer agréable. Il ne fume pas et échappe, une fois encore, à ces longues pauses en extérieur qui permettent de refaire le monde tout en égrainant les secondes. Les paroles partent en fumée tandis que lui, toujours penché sur son clavier, grave des mots dans la marge d'un temps qu'il dérobe à la futilité.
Pire que tout, l'odieux personnage préfère la compagnie des enfants à la nôtre, ces collègues d'un moment qu'il n'a pas souhaité prolonger. Il file dès que l'occasion se présente, enfourchant son véhicule pour nous laisser à nos échanges informels, à nos discussions enflammées, à nos partages d'informations. Il ne joue pas le jeu de la concertation et du travail d'équipe.
Il faut avouer que tout cela est vrai. Il préfère aux paroles qui s'envolent les mots qui se gravent. C'est d'ailleurs ainsi qu'il a conçu ce passage au pays des « Dys ». Ses écrits sont le fruit de rencontres avec des gamins fracassés par l'existence et la loterie de la chance. Ils lui ont confié leurs parcours, leurs détresses et leurs chagrins. Il a eu ce bonheur de coucher sur le papier des tranches de vies cabossées qu'il a osé vous faire partager sans le plus souvent en référer à ceux qui travaillent avec lui.
Ce n'est pas très classe ; il le reconnaît bien volontiers. On ne peut se refaire et le vieux misanthrope ne tarde pas à refaire surface. Le silence est sa carapace, sa protection illusoire. Le bruit, il le fera au travers de ses écrits : propos bien plus tapageurs que des tirades ronflantes qui ne sont même pas écoutées au pays des gens qui parlent tous à la fois.