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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Tuer le temps.

L'écran prétexte.

Comment faire semblant : tuer le temps et se donner l'air d'être affairé ? L'écran a ceci de merveilleux qu'il le dissimule aux regards inquisiteurs de ses voisins de travail. Ils le pensent affairé, ils le croient en pleine réflexion, ils admirent sans doute sa concentration et son sens du devoir. Il est vrai qu'il n'est pas un adepte de la pause-café, thé et autres sucreries, ce délicieux moment, semble-t-il, où les langues se délient au rythme des minutes qui ne cessent de s'étirer en pure perte.

Tuer le temps.

 

Cet ours mal léché reste dans sa tanière et ce collègue indifférent, se dissimule dans son bureau. Mais que peut-il faire ainsi, loin des créneaux communs de la conversation institutionnelle ? Il écrit dans le seul dialogue qu'il apprécie : celui qu'il mène avec lui-même. Il n'y a donc rien à attendre de cet individu dont le passage sera aussi vite effacé qu'un message écrit sur une plage.

 

D'autant qu'il ne fait vraiment aucun effort pour se montrer agréable. Il ne fume pas et échappe, une fois encore, à ces longues pauses en extérieur qui permettent de refaire le monde tout en égrainant les secondes. Les paroles partent en fumée tandis que lui, toujours penché sur son clavier, grave des mots dans la marge d'un temps qu'il dérobe à la futilité.

 

Pire que tout, l'odieux personnage préfère la compagnie des enfants à la nôtre, ces collègues d'un moment qu'il n'a pas souhaité prolonger. Il file dès que l'occasion se présente, enfourchant son véhicule pour nous laisser à nos échanges informels, à nos discussions enflammées, à nos partages d'informations. Il ne joue pas le jeu de la concertation et du travail d'équipe.

 

Il faut avouer que tout cela est vrai. Il préfère aux paroles qui s'envolent les mots qui se gravent. C'est d'ailleurs ainsi qu'il a conçu ce passage au pays des « Dys ». Ses écrits sont le fruit de rencontres avec des gamins fracassés par l'existence et la loterie de la chance. Ils lui ont confié leurs parcours, leurs détresses et leurs chagrins. Il a eu ce bonheur de coucher sur le papier des tranches de vies cabossées qu'il a osé vous faire partager sans le plus souvent en référer à ceux qui travaillent avec lui.

 

Ce n'est pas très classe ; il le reconnaît bien volontiers. On ne peut se refaire et le vieux misanthrope ne tarde pas à refaire surface. Le silence est sa carapace, sa protection illusoire. Le bruit, il le fera au travers de ses écrits : propos bien plus tapageurs que des tirades ronflantes qui ne sont même pas écoutées au pays des gens qui parlent tous à la fois.

 

 

 

Tuer le temps.

 

Alors, ne croyez pas qu'il tue le temps, il se contente de mettre à mal les mœurs de la maison. Il emprunte d'autres sentiers, il brouille les pistes et les cartes d'un jeu qu'il n'a pas accepté. N'en soyez pas vexés, il a toujours agi ainsi, en collègue parfaitement déloyal, en franc-tireur de la pratique pédagogique, en aventurier de la marge, en vieux solitaire méprisant.

 

Vous ignorez ce qu'il trame. Cela n'a jamais semblé vous intéresser. C'est assez paradoxal au moment même où sort son second livre, dans lequel, précisément, est publié un conte écrit à quatre mains avec l'un des jeunes dont vous avez, avec lui, la charge. Vous devez penser que ces exercices d'écriture sont vains, qu'ils ne conduisent nulle part. C'est bien possible.

 

Mais dans quelques heures, il ne tuera pas le temps, il l'inscrira dans une parcelle d'éternité. Il remettra à ce Petit Meaulnes ce livre auquel il aura participé, plusieurs séances durant, afin d'élaborer un conte qui constitue aussi un formidable travail sur son handicap et la transcendance de celui-ci par l'imaginaire.

 

Mais il se fait sans doute bien des illusions. Il n'est pas thérapeute et empiète ici sur les prérogatives qui ne seront jamais les siennes. Il est vrai que ce travail est bien trop sérieux pour être confié aux rêveurs et aux poètes. C'est pourquoi il tire sa révérence ; le temps interminable de vos réunions aura eu raison de lui. Quand la parole se nourrit de la seule parole sans autre motif que d'entretenir le ronron anesthésiant, il ne peut se résoudre à ratiociner de concert.

 

Il tirera sa révérence sans un regard derrière lui. Seuls, ces gamins cabossés vont lui manquer. Il trouvera sans doute d'autres structures pour continuer ainsi de tendre la main à ceux-là. Le bénévolat ne manque pas. Il se proposera pour animer des ateliers d'écriture. C'est là son seul bonheur.

 

Intemporellement leur.

Tuer le temps.
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L
J'ai lu le Petit Meaulnes... et le Grand aussi... de deux Fournier différents !<br /> Bon courage avec les nouvelles structures qui mettront à profit vos talents d'aide à l'écriture !
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C
L Hatem<br /> <br /> Mon petit savoir faire, simplement !