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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Dans le cagibi.

De mes peurs enfantines …

Un commentaire vient de faire ressurgir de mon passé un mot et bien des peurs enfantines. Il y était étrangement enfoui ; un souvenir certainement repoussé aux confins d'un inconscient qui a sans doute bien d'autres zones d'ombre. Mon ami de Médiapart ne pouvait savoir, en évoquant le cagibi,quels fantômes et quelles les angoisses il allait faire sortir de cet obscur placard ….

C'est parce que le verbe devenu obsolète de se rabibocher lui avait rappelé ce mot ancien, qu'il voulait m'en faire offrande. Le beau cadeau que voilà qui me conduisit aux portes de ma petite enfance, dans ce cagibi borgne qui se glissait sous l'escalier du grenier à cuir. Deux lieux tout aussi inquiétants l'un que l'autre, deux espaces le plus souvent inaccessibles à l'enfant que j'étais alors.

Le cagibi donnait sur la vieille cuisine, celle qui disparut quand mes parents entreprirent de rénover notre immense maison de ville, ancienne porte Berry de la cité médiévale. On y accédait par une porte tronquée en forme de trapèze. Elle épousait les contours des marches qui donnaient vers cette autre caverne d'Ali-baba qui me faisait si peur.

Dans ce cagibi, il y avait, pendu contre le mur, le redoutable martinet dont je reçus à l'époque quelques coups. Nous étions en un temps où le châtiment corporel était de mise, à la maison comme à l'école. Nous ne dérogions pas à la norme, d'autant que mes parents vendaient des martinets et que ce commerce n'était pas exceptionnel dans ces années d'avant 68. Je n'avais pas la possibilité d'arracher les maudites lanières en cuir ; je savais que dans la boutique, il y avait largement de quoi remplacer l'objet de torture.

Le cagibi était aussi, l'ai-je rêvé, un lieu de macération quand j'avais dépassé les bornes. Quelques minutes d'enfermement dans cette taverne inquiétante me remettaient les idées en place plus sûrement que les zébrures du martinet sur les cuisses. Je tremblais à l'idée d'avoir à subir cette sentence. Je ne sais si mes séjours furent aussi nombreux que je l'imagine et plus personne ne peut désormais répondre à cette interrogation.

Curieusement, c'est dans ce cagibi que je cherchais à découvrir le mystère de Noël et de ce personnage énigmatique qui livrait les cadeaux au petit matin du 25 décembre. Car c'était seulement le jour de la nativité qu'arrivaient les rares paquets qui trônaient au pied du sapin. Pourquoi cherchais-je alors la trace du bonhomme à la pelisse en ce lieu ? J'avoue n'en rien savoir encore aujourd'hui. La présence du martinet peut-être et le désir de conjurer la crainte du Père Fouettard.

À ce propos, je n'ai jamais pu admettre que l'impatience de tous, petits et grands, nous ait contraints à avancer l'heure des cadeaux à la fin du réveillon et en certaine maison, avant celui-ci. J'ai toujours pensé qu'une grande part de la magie de Noël résidait dans cette nuit d'attente et d'espoir qui s'est dissoute devant les impératifs de l'urgence des personnes extérieures à la maisonnée.

L'autre endroit encore plus terrifiant était cet escalier dont la porte donnait directement sur le boulevard, à l'extérieur. C'est par lui qu'on accédait à tous ces trésors oubliés qui avaient été remisés dans les deux greniers du bout de la bâtisse. Mon père avait été bourrelier. L'arrivée du tracteur et des engins agricoles avait laissé au rebut des colliers de chevaux, des attelages, des licols et autres vieilleries qui gisaient en un incroyable capharnaüm.

J'en avais une peur bleue. Ces deux greniers étaient si mal éclairés que je redoutais d'y faire une intrusion. C'était le cimetière d'un passé révolu, le lieu d'entassement de ce que les clients d'alors n'avaient plus voulu. Je me souviens du moment où, après la mort de mon père, nous avions voulu vider ce qui serait aujourd'hui un trésor. La poussière, les odeurs de cuir qui ne m'ont jamais abandonné et tout ce stock incroyable que nous avions jeté à la décharge municipale.

Je me souviens encore de toutes ces voitures qui suivirent notre camion ; les gens savaient que nous abandonnions des merveilles et ils se servirent largement . Pourtant, nul n'aurait songé à nous aider et à faire son choix avant que nous ne jetions tous ces glorieux vestiges d'un temps révolu. Sans doute la crainte de se voir réclamer quelque argent explique ce curieux manège qui longtemps me laissa un goût amer !

Voilà, une fois encore, j'ai ouvert la gibecière de ma mémoire. Je suis retourné sur les traces de mon enfance. Un mot a suffi, un mot enfoui profondément et que je n'utilise plus depuis si longtemps. Merci à ce lecteur de m'avoir glissé à l'oreille le cagibi de mon passé. Je ne sais si ce billet exorcisera mes peurs ou me rendra meilleur ; la tâche est trop importante pour la croire possible !

Obscurément mien.

merci à http://www.latablepenchee.fr/nos-partenaires/le-cagibi/ pour l'illustration

Un autre cagibi ...

Jocelyne Bacquet éditions du jeu de l'Oie

Pour commencer, un bien drôle de nom. Aurait-il ses origines quelque part dans la botte italienne ? Petite, je me rappelle avoir toujours été attirée par cet étrange endroit au nom tout aussi étrange. Le notre était situé sur le côté d'un escalier obscur et froid qui descendait à la cave. La descente se faisait quasiment dans le noir, la main cramponnée à une rampe de métal froid, lustré par toutes les mains qui y avaient circulé.

Dans le virage de cette diabolique envolée de marches, se trouvait une niche, fermée par une sorte de porte grillagée, ou plus exactement un sas. Mon père avait fabriqué un cadre de bois, au centre duquel trônait une croix, et qu'il avait couvert du grillage le plus fin qu'il m'ait été donné de voir. Aucun mulot, aucun chat n'aurait pu trouver moyen de s'y engouffrer.

Le cadre, dont les coins avaient été soigneusement renforcés ( on avait à l'époque l'amour du bel ouvrage, bien fait et bien fini ), venait se bloquer à l'entrée de la niche, très exactement, dans un cadre de bois, lui-même vissé au mur, qui n'était pourtant pas très régulier. Deux petits loquets venaient compléter le tableau, et permettaient à l'ensemble d'être inviolable, inaccessible aux importuns.

Le cagibi accueillait tout à trac, la réserve de fromage, les bouteilles qu'on voulait fraîches juste à souhait, la motte de beurre qui trempait dans l'eau, habillée d'un torchon fait main, quelques légumes, les pots de confiture recouverts de cette étonnante paraffine …

Il tenait une place de choix, ancêtre du réfrigérateur, qui n'avait pas encore fait son apparition chez nous. Passer près du cagibi revenait à s'emplir les narines de toutes ces odeurs. On en devenait vite dépendant, « accro » dirait-on aujourd'hui. Parfois, flottaient aussi dans l'air un parfum de jambon ou de saucisson. C'était là le summum du plaisir.

Nous n'aimions pas descendre à la cave, lorsqu'on nous en faisait la demande, pour aller chercher un quelconque objet dont nos parents avaient besoin. Marcher dans le noir, rencontrer une araignée velue, ou pire, une souris, avoir peur de notre ombre, sentir une toile d'araignée bous frôler, tout cela nous glaçait les sangs rien que d'y penser. Pourtant, à l'idée de passer le long du cagibi, le courage nous revenait. Nous ralentissions alors, le temps de nous emplir les narines de ce mélange unique et inimitable.

Et puis, un jour, voilà qu'était arrivé le pimpant réfrigérateur. Le premier. Jaune. Avec une immense poignée. Alors, le cagibi avait été bien vite vidé de son contenu. Le cadre de bois qui le fermait avait été recyclé, pour en faire autre chose ( à cette époque, on ne jetait rien ). Et la niche était restée béante, grande bouche bée d'étonnement, qu'on ait pu l'abandonner aussi facilement, après tant d'années de bons et loyaux services !

Et pourtant … pourtant, l'odeur, les odeurs, ce délicieux mélange de parfums hétéroclites, était resté, lui. Il avait si sûrement imprégné les murs de sa personnalité inimitable, que durant des années après son abandon, il avait continué à venir chatouiller nos narines au passage, comme une sorte de reproche sans cesse répété : « Vous vous souvenez comme j'ai été si important dans votre vie ? Et maintenant, je reste là, le ventre vide, et cela semble ne vous faire ni chaud ni froid ».

Eh bien, moi, j'avais adopté ce lieu. Je venais bien souvent m'y nicher, toute recroquevillée, en compagnie des cartons qui occupaient désormais l'espace. Je venais m'y asseoir avec un livre et une lampe de poche, et je dévorais les pages, tout en gardant les narines grandes ouvertes, à l'affût des histoires de ce cagibi, qu'il me racontait à chaque fois, promenade olfactive, dans le virage de cet escalier, toujours aussi noir, toujours aussi froid …

Il était devenu MON cagibi, et que personne ne s'en approche !

Vous trouverez Jocelyne Bacquet ici : http://www.votreinfolocale.fr/editions-jeu-oie/

Le samedi 20 décembre; elle dédicacera ses livres à la librairie Voltepage à Olivet

Dans le cagibi.
Dans le cagibi.
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K
Bref, n'ayons pas peur du noir, la vie est trop courte ! (Je sais que vous ne faisiez qu'évoquer une peur de l'enfance, mais c'est ce que votre texte m'a inspiré)<br /> Bonne fin de journée à vous.
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C
Kakashi<br /> <br /> Ce fut un moment de mon existence seulement
C
Kakashi<br /> <br /> Ce fut un moment de mon existence seulement
K
Nous finissons tous <br /> Dans les profondeurs <br /> Obscures et soûles.<br /> Festin nu aux trous<br /> Des ombres inconnues, <br /> Qui nous grignotent<br /> Nos ventres repus : <br /> Que reste-il de <br /> l'Effroi bouillonnant <br /> De nos vies ? <br /> Il gigote et<br /> Se suspend au vide.
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C
Kakashi<br /> <br /> Je ne mérite pas tel poème Je ne suis qu’un raconteur d'histoires