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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Ah, qu'elle était belle cette lurette !

Conte à rebours ....

Au temps jadis …

Il était une fois une Lurette. Ne cherchez pas à savoir ce qu'elle était, où elle vivait . La Lurette n'aimait rien tant que la discrétion et ne faisait jamais étalage de ses sentiments. Elle maniait l'aiguille, c'est tout ce qu'on sait d'elle ; tricoteuse d'une immense patience, elle tissait d'une manière très particulière. Une grande aiguille d'une main, une petite de l'autre, elle alignait les mailles par groupes de soixante.

Elle confectionnait ainsi des chandails, des vêtements pour les temps froids et d'autres pour les temps chauds. La Lurette ne comptait pas son temps même si d'autres s'en chargeaient pour elle. Elle était impassible, toujours assise face au soleil ; tant qu'il était dans le ciel, elle était à l'ouvrage. À intervalles régulier, elle tournait son fauteuil afin de se remettre face à l'astre qui commandait sa vie. Elle était placée sur une plate-forme, ronde et mobile, qui lui permettait ainsi de bouger sans interrompre sa mission.

La Lurette restait à sa besogne durant tout la journée, sans boire ni manger. Elle avait une mission sacrée et ne s'en détournait jamais. Que le ciel soit couvert ou bien d'un bleu d'azur, que les journées soient interminables en été ou bien peau de chagrin en hiver, elle égrainait les heures du tic tac de ses aiguilles qui s'entrechoquaient à chaque nouveau point.

Tous les trois mille six cent points, Lurette était prise d'un incroyable coup de bourdon. L'espace de ce bref instant, elle s'interrogeait sur la vacuité de sa mission. Mais à chaque fois, un petit coucou sortait de sa cabane et venait lui redonner du cœur à l'ouvrage. Enchantée par cette apparition, elle repartait de plus belle dans cet inexorable mouvement de balancier entre aiguilles et temps qui file …

C'est la nuit que notre Lurette retrouvait une vie exaltée. Le coucher du soleil sonnait pour elle le début de la liberté. Elle avait été sa gardienne scrupuleuse, le témoin de sa longue promenade dans le ciel. Une fois l'astre disparu, la Lurette quittait le cercle qui la maintenait prisonnière du temps ; elle pouvait enfin vaquer tout à loisir.

Lurette allait danser toute la nuit. Il fallait voir alors avec quelle virtuosité ses jambes tricotaient à leur tour. Qu'importe qu'elle soit souvent à contre-temps, qu'elle épuise ses partenaires qui devaient se relayer pour suivre son rythme effréné ; Lurette tournait à en perdre la tête, à en perdre la raison. Elle virevoltait dans des figures endiablée. Lurette était si belle quand elle s'abandonnait ainsi à sa folie !

C'est ainsi qu'on la baptisa : « la Belle Lurette », la tisseuse du temps. Au lever du jour, en dépit de la fatigue, elle reprenait sa mission. Elle s'installait pour égrainer à nouveau chaque seconde par un point : de riz, de sable, de blé ; pour les tricoteuses expertes, les variations sont infinies. Nul n'osait l'interrompre, s'approcher d'elle pour lui parler ou bien partager un peu de cette étrange cérémonie intemporelle. Chacun s'était rendu compte que, durant ce temps en suspension, Lurette sommeillait sans jamais interrompre son mouvement.

Ce qui interrogeait le plus les témoins de cette étrange sarabande des aiguilles, c'est que sa pelote de laine ne semblait jamais se dévider. Toujours de la même taille, elle alimentait sans trêve ni repos ce que Lurette fabriquait ainsi. Des esprits incrédules virent là quelque diablerie, quand tous les autres comprirent que celle qui scande le temps, qui lui donne son tempo n'était pas du monde des mortels.

La belle Lurette effectivement ne vieillissait pas, ne changeait pas ; elle était la prêtresse du temps qui passe. La postérité lui a donné raison en lui attribuant une expression que personne ne comprend plus.

Même si la dame semble avoir disparu de notre monde : cette société qui a voulu accélérer le temps, le mesurer, lui donner une valeur monétaire, Lurette doit poursuivre sa mission quelque part sur cette planète, dans un espace préservé, une vallée enchantée, où quelques humains encore, vivent au rythme immuable des saisons, du soleil et du temps qui prend son temps.

Tisseusement sien.

Ah, qu'elle était belle cette lurette !
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N
C'est pas possible ! quelle découverte j'ai faite en vous trouvant par hasard sur le Net... Votre réserve paraît inépuisable. Vous m'apportez ENORMEMENT. Vous êtes un vrai Père Noël... Mais combien de merveilles avez-vous dans votre hotte ?<br /> Un vrai régal.. Soyez encore et toujours remercié.<br /> Admirativement vôtre.
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C
NINA<br /> <br /> VOus me flattez<br /> Méfiez-vous, j’aime ça<br /> <br /> J’ai 2 800 textes dans ma hotte et la série se poursuit<br /> <br /> Courage