3 Octobre 2014
Concurrence déloyale
Une lectrice m'avait susurré à l'oreille qu'elle avait désormais remplacé son rituel de Télé-matin par la lecture matutinale de mon billet. J'en fus, tout d'abord, fier et honoré avant que de comprendre qu'elle me plaçait ainsi sur un pied d'égalité avec ce William qui est si désagréable. Il me semble que la lecture vaut bien plus qu'une pâle émission télévisuelle, fût-elle produite par le service public.
La télévision le matin ? C'est d'abord ce choix qui me sidère et m'interroge. Je sais que ce mouvement s'amplifie et que, de plus en plus nombreux, sont les postes ouverts à l'heure du laitier. Remarquez, les laitiers ont depuis longtemps déserté nos rues qui se réveillent et j'ose croire qu'il en sera de même pour ce réflexe désastreux.
L'écran qui brille au matin alors que les yeux sont encore embrouillés, j'en tremble d'effroi. Je les connais bien ces enfants qui nous arrivent après deux heures de ce traitement et qui se trouvent incapables de rester concentrés. Ils ont vu les horreurs de la nuit, des images taillées sur mesure pour agiter leurs pupilles et les préparer à l'excitation permanente. Ils sont prêts à ne rien apprécier dans cette école qui réclame du silence et de la réflexion.
La télé, le matin, c'est le refus de la quiétude dans la maisonnée, c'est le désir de s'immerger au plus vite dans la folie du temps. C'est la course effrénée à la connaissance de ce qui n'a pas d'importance. C'est encore le défilé des célébrités, des gens qui justement, évitent de passer leurs matins devant de telles inepties.
Alors, si vous ne savez pas quoi faire de mieux, imitez cette nouvelle lectrice : coupez le poste et venez me lire. C'est déjà un premier pas vers un peu plus de liberté. Un autre écran a pris le relais ; il vous faudra encore un nouvel effort pour vous émanciper de celui-ci également. J'en serai navré car j'aime votre douce présence attentive aux premières minutes de la journée, mais que diable, il faut être un peu cohérent !
Le matin appartient à ceux qui se lèvent tôt et se libèrent de leurs chaînes. Ils avancent dans la vie, prenant le temps de flâner sur un petit déjeuner, de partager quelques paroles avec les autres éveillés qui cherchent leurs marques dans l'incertitude d'un corps qui se remet en branle. Les paroles sont rares ; c'est le rêve qui se prolonge dans les vapeurs de votre boisson chaude …
Le matin c'est la voie ouverte vers la journée. Épargnez-lui le matraquage télévisuel ; la machine à décérébrer fonctionne d'autant mieux que votre état de veille est altéré. Repoussez les postes bien loin de vos cuisines, mettez le diable à l'index, tout en permettant aux voisins qui dorment encore, de n'avoir pas à supporter ce maudit ronron.
Maintenant, si vous avez besoin d'un peu de rêverie, d'une petite piqûre de rappel, d'un conte le dimanche matin, de quelques récits inutiles, vous pouvez venir me rendre visite. Je vous accueillerai avec le sourire, prendrai du temps pour vous répondre si vous osez le commentaire. De toute manière, ce choix sera de très loin préférable à l'addiction télévisuelle.
Votre lecture s'achève ; votre petit déjeuner a duré un peu plus longtemps. Vous avez pris le temps, de lire et de mâcher, de réagir et de déguster. Vous n'en irez que mieux tandis que William n'en finira pas de parler derrière des écrans éteints. Nous avons fait un premier pas vers un monde nouveau et meilleur.
Il y a sans doute bien mieux encore à faire. Mais je vous laisse embrasser qui vous voulez. Un peu de tendresse ne nuit pas non plus avant que d'enfiler la tenue de combat : celle d'un quotidien du labeur et l'agitation. Joyeux matin à tous, je vous prie d'excuser cette folie d'un réveil brumeux !
Matinalement vôtre