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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le cercle des causeurs disparus.

Table ronde

Le cercle des causeurs disparus.

Ce que je redoutais tant, j'ai fini par l'expérimenter et j'avoue que ce que j'ai vécu ne m'incite guère à changer de point de vue. Un petit salon du livre, de gentils auteurs en rang d'oignons, attendant sans doute de sécher sur pied et qui font le pied de grue pour saisir au bond, de rares, bien trop rares visiteurs … Le décor est planté, l'atmosphère se fait pesante et le pauvre écrivaillon se morfond.

La dédicace pour unique offrande, une promesse qui devrait soulever des montagnes et voir affluer la foule en délire. Belle illusion que voilà ! Le bon peuple n'adore que les idoles, au-dessus de qui le succès a étendu son aile bienfaitrice. Il faut avoir été vu à la télévision pour faire la tête de gondole et provoquer la ruée des gogos.

Nous ne sommes rien qui vaille et personne n'espère s'approcher de nous afin de pouvoir s'en vanter plus tard dans les soirées mondaines. C'est l'ennui qui est notre compagne ; le crayon à la main reste inoccupé, le chaland passe sans un regard pour celui qui, de sa chaise, espère secrètement sans rien oser dire.

Le livre, il me semble n'est pas un être inerte. Il est porteur de magie et de rêve, d'espoir et de folie. Ne pas lui donner la parole c'est le condamner à la dépression, à l'oubli ou bien pire encore, à l'indifférence. Il doit, par le truchement de son auteur, se raconter, se mettre en scène, se donner à comprendre, séduire et envoûter.

J'en étais à me dire tout cela quand, pour meubler l'ennui et le vide, quelques-uns d'entre nous se livrèrent à une table ronde qui allait tourner en rond. Le risque est si grand qu'il faudrait, par sage mesure de précaution, nommer autrement ce cercle vertueux des causeurs disparus. Le débat porta, sur le livre et sa nature, son exception supposée et ses difficultés avérées. Il fallait être poli pour rester attentif ; comme je ne le suis guère, mon esprit vagabonda vers des contrées intimes.

Quand les discoureurs eurent achevé le sujet et que se furent dispersés les rares auditeurs qui leur prêtaient une oreille lasse, je ne pus m'empêcher d'apporter mon grain de sel, une petite fleur de folie dans ce trop sage débat. Je fis le bonimenteur, celui qui dans les foires, va attirer le client, le convaincre , par ses mots, d'oser la dépense :

« Approchez, approchez ! Il y a autour de vous des livres et leurs auteurs. Ils sont le fruit d'une folle passion, d'un travail obscur qui, aujourd'hui, arrive en pleine lumière. Ils racontent des histoires qui vont vous prendre par le cœur, des aventures que vous pourrez partager. Il ne suffit pas de passer ici sans même regarder, prenez le temps d'écouter celui qui veut vous emporter dans son monde intérieur.

Le livre est une aventure à nulle autre pareille, fruit de l'envie du partage, du désir de la confession. Acceptez de rencontrer le loup avec celui-ci, de découvrir l'Afrique avec cet autre, d'endurer au contraire, avec ce troisième, un hiver si froid, que les arbres se fendaient sur pied. Partez à la découverte de l'imaginaire de ce pays, vivez les péripéties folles de la Vouivre de Loire.

Le livre est l'enfant des auteurs. Réservez-lui le meilleur accueil , une place de choix dans votre foyer, mettez-le à l'honneur, faites-le connaître à vos proches, parlez-en autour de vous. Il ne peut rester oublié sur une étagère ou dans un placard. Il lui faut vivre sa vie grâce à vous, chers lecteurs de passage. Vous avez ici lourde et belle responsabilité et ces gens, assis en silence derrière leur table et leurs ouvrages, n'osent vous tirer par la manche pour vous prendre par le cœur.

Je le fais à leur place car je ne suis qu'un bonimenteur. Un bateleur de foire qui n'hésite pas à vous faire l'article. C'est sans doute par timidité ou pudeur qu'ils restent trop taiseux. Allez à leur rencontre, demandez-leur une petite lecture, un court récit, une promesse de plaisir. Sortez-les de leur mutisme puisqu'ils sont si timides qu'ils n'osent venir à vous. Le livre vaut bien quelques sacrifices… »

Voilà à peu près ce que j'ai dit en jouant de la voix et du corps à la manière des acteurs. Les quelques personnes présentes sont sorties de leur torpeur. Elles m'ont écouté ; il y a eu alors ce silence qui permet de capter les auditeurs. J'espérais qu'ils se précipiteraient vers ceux qui continuaient d'attendre, désespérément, derrière leur présentoir mais c'est à moi que vinrent quelques-uns pour acheter mes Bonimenteries du Girouet.

Décidément, il n'est pas simple de partager et, en dépit des bonnes intentions, ce sont toujours les beaux parleurs qui tirent les marrons du feu. Je continue de penser que la formule actuelle n'est pas fameuse, en effet, un auteur silencieux, n'engage pas le lecteur éventuel à le lire ; il faut qu'il se donne les moyens de le prendre par le cœur . Si l'on m'invite en ces manifestations convenues, il faudra m'accepter ainsi ou ne pas me demander de venir. Le livre est une fête ; les grises mines et les gens trop sérieux n'ont que faire dans mon univers déjanté et bavard.

Livresquement leur.

Le cercle des causeurs disparus.
Le cercle des causeurs disparus.
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K
Je viens de repenser à cette simple phrase de Brassens mais qui résume l'ordre sociétal avec perfection; ainsi je la sort volontairement du contexte de la chanson et vous l'envoie à la figure comme une vérité absolue de la nature humaine en société : "... Les copains d'abord." Cette formule vous semble peut-être sarkosiste de premier abord, mais croyez moi qu'elle est aussi mélanchiste, hollandiste, Brassensienne, Hugolienne, Gaulliste, Picassolienne, Voltairienne, Verlainienne, Rimbaldienne, Laclosienne, politique, Philosophique, religieuse, Spirituelle ... et peut être un jour Nabumienne.
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C
Kakashi<br /> <br /> Nulle politique dans tout ça<br /> <br /> Les copains d’abord, pourquoi pas ! <br /> <br /> La passion surtout aurai-je envie de dire
K
Je pense qu'il faut s'adapter à l'époque et au genre humain. L'époque se veut publicitaire (et votre faconde n'en manque pas) quant au genre il est grégaire et tentaculaire. Par là, pour sortir un marron du feu, où le reste flambe, vous conviendrez qu'il vous faille rentrer dans &quot;Le Grand Théâtre&quot; des apparences sous la tutelle des réseaux, vous affubler d'un costume et rentrer dans un rôle de composition. La vie c'est un peu cet éternel jeux d'acteur et les interactions humaines ne sauraient fonctionner autrement. Il vous faut vous adapter si vous espérez quelque succès. Oh ! Je commence à vous connaitre Nabum et je devine votre réponse. Et vos pensées m'imprègnent. Mais là où vous vous convainquez de perdre votre âme, n'y voyez que ruse de votre part, adaptation et interprétation théâtrale. La faim peut justifier les moyens. Pour le reste, je me déplacerais bien pour ma part dans cette petite librairie de votre enfance pour acheter votre livre directement là bas; à la source en quelque sorte.
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C
Kakashi<br /> <br /> Je n’hésite pas à mouiller la chemise du costume de Loire<br /> C’est un personnage qui entre en scène, un bonimenteur qui prend les gens par le cœur<br /> Qu’importe s’ils achètent ou non mon livre mais qu’ils aient envie d’écouter et de jouer les curieux
J
Merci aux Chroniques Ovales de nous rappeler qu’on a carrément tourné en rond lors de ce salon du livre bocal . Oui, contrairement à ce qui a été dit dans le débat, quand il est fini, le livre devient une marchandise comme une autre. Comme a dit d’Ormesson à Orléans le même jour : sans lecteurs, pas d’auteurs. Là, on avait des auteurs, mais pas de lecteurs. D’où l’intérêt de se demander comment les faire venir, les dits lecteurs.. Mais il aurait fallu se le demander avant le salon, pas après ☺ . Et une fois qu’ils sont là, les lecteurs chéris, faut forcément les aguicher, les bonimenter, comme dit Nabomme, pour qu’ils comprennent pourquoi ils sont venus. Pas sûr que la lecture de textes politiques trop longs et un tantinet soporifiques qui a été imposée aux maigres participants aurait pu doper les visiteurs s’ils étaient venus. Mais comme ils sont restés chez eux…
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C
Jacques<br /> <br /> Lire en public est très délicat, celà ne s’improvise pas même avec la meilleure volonté<br /> Alors, quand le texte est ardu, dense, important, c’est encore plus difficle<br /> <br /> Quant à la table ronde, elle était réservée aux professionnels de la profession et pas au lecteur de passage.<br /> J’ai essayé de mettre un peu de vie dans cette manifestation un peu soporifique malgré les efforts louables des organisateurs et j’ai souhaité le raconter ici <br /> <br /> Merci