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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L'aigrette du père Théophraste.

Fable dominicale

Les paroles s'envolent.

Nous sommes, il y a bien longtemps, sur les bords de notre Loire. Henry IV, avant de passer de vie à trépas sous le couteau de Ravaillac, avait créé le service de la poste aux lettres en 1603. Sous Louis XIII, cette institution balbutiante devint, grâce à l'efficacité de Pierre d'Almeras, premier maître des courriers en France, l'embryon du premier service public. L'idée allait faire son chemin et la poste devenir un moyen de relier les hommes jusqu'à ce que le courriel vienne supplanter notre bonne vieille lettre. Mais ceci est une autre histoire ….

C'est dans ces années de renouveau de l'état français, après les affreux désordre des guerres de religion, qu'un brave marinier se fit une solide réputation de colporteur de nouvelles. Il s'appelait Théophraste, pas tout à fait le bien nommé. Théo frasques eût été, à n'en point douter, un pseudonyme plus précis, tant le garçon aimait à faire des siennes.

Il s'était fait la spécialité de porter des fausses nouvelles, des galéjades inoffensives, simplement pour mettre les rieurs de son côté et ridiculiser tel marchand à la réputation peu flatteuse. Comme il exerçait son espiègleries sur tout le long de la rivière, il mit bien du temps à être démasqué et, durant quelques années, put ainsi s'amuser des puissants par quelques rumeurs infondées aux conséquences toujours facétieuses.

Théophraste s'était fait voiturier-express, spécialité qui avait assuré la réussite de son entreprise. Il avait, en effet, conçu une bateau léger et racé, équipé d'une voile démesurée pour la taille de l'embarcation, tel un bel oiseau aux grandes ailes . Ce voilier à fond plat, il l'avait imaginé pour le seul plaisir d'aller plus vite que les autres, de livrer les gens pressés- il y en a toujours eu-disposés à mettre une belle somme pour quelques jours de gagnés.

Théophraste avait l'avantage de la légèreté car ses tarifs lui permettaient de ne jamais surcharger son embarcation. Ainsi, il était certain d'être le plus rapide sur la rivière. Tout en gagnant confortablement sa vie et en mêlant le plaisir de la vitesse à la nécessité du commerce, il avait toujours plusieurs jours d'avance sur des convois imposants qui étaient attendus là où il arrivait.

C'est grâce à cet avantage incomparable qu'offre le temps gagné, que lui vint la malice de diffuser des remarques trompeuses, des assertions douteuses sur le train de bateau qui était espéré. Il s'arrangeait pour jouer du sous-entendu, de la phrase lâchée par inadvertance pour déclencher une alarme qui mettait toujours en émoi un puissant de l'endroit.

Théophraste était habile dans l'art de la rouerie. Il y avait du bonimenteur en lui. Ses histoires, pour abracadabrantes qu'elles pussent paraître, trouvaient toujours de l'écho parmi les gens restés à quai. Lui, il déposait son venin, laissait prendre la mayonnaise, tandis qu'il avait, depuis longtemps, filé dans un autre port, une nouvelle escale où il avait une autre tromperie à dire.

Partout où passait Théophraste, l'émotion et l'affolement provoquaient bien des troubles chez les marchands. Ici, il laissait supposer qu'un chargement de blé venait de sombrer et, immédiatement, les prix s'envolaient. Là, il prétendait sans l'affirmer bien sûr, qu'un convoi de vin avait subi des avaries au passage d'un pont redouté. Ailleurs, il laissait croire qu'un faux-saunier, célèbre et espéré, s'était fait prendre, avec tout son chargement, par les gabelous.

Chaque bruit qu'il offrait ainsi à la gourmandise des bavards de toutes sortes, se mettait à enfler afin, immanquablement, d'arriver aux oreilles de celui qui était visé par la machination du coquin. Théophraste ne profitait guère du spectacle de ces machinations verbeuses, pourtant, cela l'amusait tant, qu'il riait sous cape du mauvais tour qu'il avait, une fois encore, joué à sa façon.

Cependant la combine finissant, petit à petit, par être éventée, Théophraste eut la sagesse de ne pas trop insister quand il sentait que sa crédibilité était remise en cause, ici ou là. L'homme était prudent et bien plus malin qu'il n'y paraissait. Il avait d'autres tours dans son sac pour exercer son talent de menteur. C'est, d'ailleurs, auprès des dames qu'il excellait, obtenant par des propos enjôleurs des privautés que je m'interdis d'évoquer ici …

Tout cela n'aurait laissé aucune trace dans l'histoire si son bateau ne s'était appelé « l'Aigrette ! », un nom de baptême qui lui collait parfaitement quand les voiles étaient sorties et qu'il fendait les flots plus vite qu'aucun autre navire lourdement chargé. Théophraste était, à sa manière, un voileux bien avant l'heure, un amoureux du sport nautique sans qu'il existât encore.

Les gens d'ici ont toujours eu l'habitude de déformer les choses, de donner des surnoms, de modifier les mots par goût de l'invention verbale. Son « Aigrette » devint bientôt « La Garzette ». Il y avait dans ce sobriquet quelques nuances de légèreté et de vivacité. Bien vite, on entendit, sur les bords de la Loire, cette curieuse expression : « Tiens, voilà la Garzette qui arrive, nous allons encore avoir de drôles de nouvelles ! ».

Un jour, un certain Renaudot, en personne, passa par chez nous. Il fut intrigué par ce personnage qui, curieusement, portait le même prénom que lui. Alors, quand il entendit cette exclamation, il y prêta attention. Hélas, un peu dur de la feuille-la chose peut paraître étrange quand on sait ce qui le rendit célèbre-il comprit un mot qui jusqu'alors n'existait point. Il garda ce mystère pour lui et s'en retourna à la capitale.

Peu de temps après, en 1631, le sieur Renaudot publia le premier numéro d'une brochure qu'il intitula « La Gazette ! » Vous voyez à quoi peut tenir une invention. La Loire avait, une fois encore, joué son rôle. Plus tard, d'autres journaux virent le jour et tous, avec une constance qu'il faut souligner ici, s'évertuent à perpétuer la tradition du père Théophraste. La presse louvoie entre vérité et mensonge, entre farces et frasques. Mais cette fois, ce sont surtout les petites gens qui ont font les frais ; jamais le père Théophraste n'aurait permis ça !

Journalement leur.

L'aigrette du père Théophraste.
L'aigrette du père Théophraste.
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