29 Mai 2014
Porte à faux-semblants
Pour qui me supporte régulièrement, vous savez ma passion pour les aventures insolites. J'ai posé mes valises à la célèbre « foire aux portes », un espace ouvert sur le monde, une fenêtre qui donne accès aux clefs de l'avenir. C'est un événement grinçant, une manifestation qui peut vous faire sortir de vos gonds. N'ayant pas tout vu lors de mon premier passage, il m'en fallut faire un double tour et c'est ainsi que j'en compris toute la portée.
À l'heure où j'écris ces lignes,la foire bat encore son plein, elle refuse du monde, se tient désormais à guichets fermés. Les huissiers interdisent l'entrée aux gens qui ne sont pas munis du précieux sésame ;une porte fermée fort regrettable pour les négligents et les étourdis. Il faut admettre que cette mesure, pour insupportable qu'elle soit, était nécessaire devant l'afflux considérable de visiteurs.
Mais oublions la polémique et revenons à la fonction qui m'a été attribuée :je dois me faire le porte-parole de cette belle initiative, le porte-voix des exposants et des organisateurs. Il faut tout d'abord souligner la formidable synchronisation des différents participants, ils virent tous midi à leur porte. C'est cependant les exposants de porte-bagages qui démontrèrent leur plus grande capacité à se mettre au diapason, aucun d'entre eux ne manqua de coffre.
Du côté des porte-monnaie, la crise de l'euro s'est fait sentir. Certains distributeurs regrettaient de n'être plus cotés en bourse quand d'autres refusaient le liquide ou les petites coupures. Il eût fallu l'intervention des porte-cartes pour remettre un peu d'ordre dans ce secteur.
Les porte-flingue reconnaissaient, quant à eux, que la conjoncture leur était particulièrement favorable. Ils ont su rester dans le coup, ont montré une grande capacité à tirer leur épingle du jeu. Il faut souligner que la foire précédente leur avait mis un peu de plomb dans la tête et qu'ils avaient analysé les erreurs de cibles de l'époque.
Les portes cochères n'ont pas su se remettre en selle. Le marasme se poursuit dans cette branche du secteur qui a été désarçonnée par les nouvelles technologies. Beaucoup de fabricants se sont retrouvés sur la paille et certains ont mis la clef sous le paillasson. Le président de leur syndicat a affirmé qu'il était temps de nettoyer les écuries et de reprendre un peu le mors aux dents !
Les porte-bébé affichent eux une bonne mine. La profession est encore en pleine croissance et porteuse de belles promesses. Il est bien loin le temps des balbutiements pour ce secteur qui compte encore grandir à un rythme soutenu. C'est bien celui-là qui dope le marché et permet d'envisager un avenir radieux.
Les porte-bouteilles ont connu une période délicate. Le scandale des pots-de- vin a entaché l'image de la corporation. Avoir un casier judiciaire n'est pas de nature à rassurer les futurs clients. Il n'y eut pas de bouchon devant les stands qui avaient prévu une contenance bien trop grande. Pour le responsable de ce secteur, cette année ne sera pas un grand millésime. Les porte-bidons voulurent s'associer à eux mais se retrouvèrent le bec dans l'eau !
Les porte-jarretelles se sont fait remonter les bretelles. Des comportements provocants firent mauvais genre cette année dans un salon qui voulait s'offrir une nouvelle virginité. Les exposants ne surent pas se pénétrer des nouvelles consignes et affichèrent des tenues plus qu'équivoques. Gageons qu'une reprise en main permettra de redresser au plus vite la situation.
Les porte-malheur une fois encore se sont vus interdits de salon. Les uns y voient la survivance de vieilles superstitions quand d'autres affirment que les porte-bonheur font la pluie et surtout le beau temps dans cette manifestation. Il serait question les prochaines années de déterminer par tirage au sort les professions invitées tant désormais les candidats sont nombreux.
Les porte-serviettes se sont joints aux porte-manteaux. Les uns servant de doublures aux autres. On ne peut que se féliciter de cette initiative. Elle mit en suspens des griefs anciens entre ces deux spécialités bien différentes. La patère,hélas, fut exclue de la fête. On ne peut s'en étonner, c'est une spécialité qui a bien du mal à se fixer dans le nouveau marché.
Les porte-avions sont cette année restés en rade. L'activité bat de l'aile et elle a été remplacée par les porte-conteneurs qui firent le plein. On peut également citer en vrac les porte-drapeau qui par solidarité avec leurs homologues maritimes se mirent en berne. Pourtant c'est une profession qui avait le vent en poupe jusqu'à peu. Nous espérons un revirement spectaculaire de ce secteur lors de la prochaine tempête financière.
Les porte-couteaux obtinrent une place sur le fil. Depuis quelques années, ce secteur était émoussé. Il a retrouvé du tranchant et une nouvelle génération de managers a su innover. En se mettant à la pointe du progrès, ils sont arrivés sur la foire parfaitement affûtés et dans un état de fraîcheur remarquable. Leur porte-parole a affirmé qu'il était hors de question qu'ils arrivent seconds ce qui explique leur agressivité commerciale.
Les porte-plume eurent bien du mal à lever l'ancre. Major il y a peu, l'activité connait une régression sans précédent ; les ventes tombent en chute libre et il semble même qu'elle ait tiré ses dernières cartouche. Voilà une bien triste nouvelle qui fait tache dans cette foire si réjouissante. Nous déplorons encore la disparition des porte-documents qui s'inscrit dans le même contexte.
Je suis au regret de devoir porter un coup fatal à ce reportage. Mon ordinateur portable semble à bout de souffle. Je vous laisse à vos occupations et reporte sine die la suite de ce porte-folio insupportable. Je crains de vous avoir porté sur les nerfs et vous prie de m'en excuser.
Portiquement mien.
Photographies de Jean-Louis Pétrone.