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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Des gens si respectables ...

Hélas, bien trop pressés !

J'observe à distance un groupe de musiciens conviés à animer un repas de gens importants : des bourgeois distingués, des hommes et des femmes aux lourdes responsabilités sans aucun doute. Les musiciens sont prêts ; ils attendent qu'on leur fasse signe de commencer. Les convives arrivent au compte-gouttes, les premiers sont en avance et déjà demandent à pouvoir être servis au plus vite afin de repartir dès que possible.

Les artistes comprennent qu'ils ne sont que de simples prétextes, un fond sonore qui finira sans doute par déranger ces gens si occupés. D'ailleurs, un signe ne trompe pas : parmi cette joyeuse bande respectable, il y a toujours quelqu'un pendu au téléphone. Les uns sortent afin de préserver un peu de discrétion, d'autres n'ont même pas cette attention.

Les notes restent en suspens, quand faudra-t-il commencer sans ne gêner personne ? Je devine que les musiciens sont habitués à ce genre de prestation, ils prennent leur parti de cette indifférence absolue. Ils sont transparents pour la plupart des gens, attablés ici et déjà l'esprit ailleurs. Il faut admettre que des personnages aussi importants n'ont que faire de pauvres saltimbanques anonymes. J'ai mal pour eux …

Ils commencent à jouer. On les a sollicités parce que des très pressés vont partir. Ils s'exécutent quand de moins pressés arrivent. Le mouvement de va -et-vient ne fait que commencer. Les dîneurs n'auront pas la courtoisie d'attendre la fin d'un morceau. Il faut dire que le temps manque toujours à ces gens si affairés. Ils se lèvent et partent sans un regard pour les larbins musiciens.

Une furie arrive, c'est sans doute elle la plus pressée de tous. Elle passe devant l'attraction sans un regard, elle claque des talons, elle repasse, répond au téléphone, parle fort, avale vite un plat et file . Une tornade ; la dame a sans doute de grandes responsabilités et un sens aigu de l'empathie. Le temps lui manquait encore plus qu'aux autres, sans doute ! J'observe, ahuri, cette furieuse. J'ignorais jusqu'alors que malotru eut aussi un féminin !

Les saltimbanques restent stoïques. J'admire leur patience, leur capacité à faire abstraction d'un public méprisant, en tout cas parfaitement indifférent à leur prestation. Ils poursuivent ; leur tour de chant est plutôt agréable même s'il semble perturber les conversations de ceux qui leur ont demandé de venir divertir leur repas d'affairés. On leur demande de baisser le niveau sonore. À leur place, j'aurais retourné la requête à ces gens trop bruyants.

Les musiciens, un peu las de jouer dans le vide, s'arrêtent. Personne ne le remarque. La tablée des gens si occupés ne se rend pas compte de ce changement d'ambiance. Les uns s'en vont quand d'autres arrivent encore. Ce n'est plus un repas, c'est une agitation incessante. Chaque nouvel arrivant fait le tour, salue ses collègues sans un regard pour les comparses. Je m'étrangle d'indignation ; les musiciens s'en amusent. Il en faut de la distance pour accepter cela …

Les faiseurs de bruit mélodieux remplissent leur mission. Ils se remettent à jouer sans que personne ne leur ait rien demandé. Les faiseurs de bruit discordant n'en paraissent pas affectés. Les gens si surchargés s'en vont les uns après les autres ; quelques-uns saluent les musiciens, d'autres non. Les gens pressés n'ont pas toujours le temps de perdre le leur avec les valets et les subalternes, les inférieurs et les inconnus. Il y a donc une échelle de valeur dans les marques de respect. J'ose espérer que ces gens ne sont pas des élus de la République …

Les gens pressés sont tous partis. Il en reste quelques-uns seulement ; ayant apparemment compris à quel point leurs collègues ont malmené les pauvres artistes qui rangent leurs instruments, ils les invitent à venir boire un verre à leur table. Je n'entends pas ce qu'ils se disent. De mon côté, j'en ai assez vu à distance pour me faire une idée sur ces gens bien trop pressés. Je quitte l'endroit ; j'ai apprécié cette prestation qui ne m'était pas destinée.

Je suis sans doute un peu stupide de prendre en pitié ces gentils trouvères. Ils ont fait leur métier ; c'est parfois ainsi qu'on traite les souffleurs de vent chez les gens si importants. Les princes qui les ont mandés les ont sans doute payés. Il n'y a donc pas à s'offusquer du traitement que le maître impose à ses valets.

Pourtant, je ne parviens pas à admettre aussi peu d'éducation de la part des gens si distingués. Être pressé ne justifie en aucun cas le manque de respect. Mais je ne suis pas assez pressé pour les comprendre. J'ai observé cette scène incroyable issue d'un autre temps. J'en viens même à éprouver de la pitié envers ces dîneurs de l'expéditif. Ont-ils pris seulement le temps d'apprécier leur repas ?

Précipitamment leur.

Des gens si respectables ...
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K
Je suis d'accord avec vous. A ceci près que la musique est un art mécompris par le plus grand nombre et même par nombre de musiciens eux-même. <br /> Quant au mépris ... les notables n'ont guère plus de sagesse que les misérables et les prolétaires.
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C
Kakashi<br /> Je ne sais pas s’il est mécompris en tout cas, il scinde les gens, constitue des tribus hostiles les unes envers les autres.<br /> Puis il y a les gens importants qui n’écoutent pas parce qu’ils ont beaucoup mieux à faire